Monday, January 30, 2017

Souvenir de ma relation avec André Hajdu 26-09-16

26/09/2016

J'ai témoigné de l'admiration pour André, son personnage et sa musique.
Lors de nos entretiens, inévitablement, je trouvais des paroles pour lui exprimer comment telle œuvre musicale ou telle pensée m'avaient bouleversé.

André se racontant, j'attendais qu'il fasse une pause dans son discours.  Parfois impatient de parler, je l'interrompais.
Je m'interroge depuis et encore sur mon enthousiasme et la façon dont je ne peux pas m'empêcher d'admirer.
L'admiration serait-elle une forme d'idolâtrie ?
Je me pose la question s'il était gêné et à quel moment venait son embarras quand je l'admirais.
Était-il gêné pour moi, par moi, pensant que j'avais dépassé une limite ?

Dire je t'adore,  est-ce un prolongement excessif du verbe aimer ?
Quel est le rapport entre admirer, aimer, adorer ?
Cette recherche fait-elle partie des jeux du langage ou a-t-elle des racines plus profondes ?
Où placer la limite de l'admiration, de l'amour, ou de l'adoration ?
Pourquoi André était-il gêné ? Par humilité ou par peur de la pauvreté de mon  interprétation ?

Ces conversations se déroulaient deux fois par semaine. Les derniers temps, on se retrouvait dans un café nommé le Lieu de Isaac, situé boulevard de la maison du pain דרח בית לחם. J'aimais cet endroit, il me rappelait un café d'Italie.
Plus tard, André a voulu changer pour un grand café bourgeois français que je n'aimais pas, mais qui avait ses faveurs pour ses merveilleux gâteaux. 

A peine installés, il commençait à me parler avant même que les serveurs apporte notre commande.
Ma première question, si j'arrivais à parler avant lui était de savoir s'il avait composé de la musique. Me répondant, ses paroles coulaient tout en dégustant son gâteau avec ses gestes d'enfant qui ne l'on jamais quitté. Il insistait pour partager son plaisir gourmand avec moi.

André avait des problèmes d'insomnies, rêves et cauchemars.
La nuit, la musique travaillait et sonnait dans sa tête.
Il devait se lever pour écrire les musiques qui l’empêchaient de dormir.  Ne voulant pas déranger Ruth ou les voisins il renonçait à les entendre sur son piano pour ne pas  rompre le silence de la nuit. C'était ses moments nocturnes.

En plus de la constance de nos rendez-vous dans les cafés, prolongeant ainsi notre vie dans les cafés parisiens, il m'invitait  aux manifestations qu'il donnait tels que concerts, musique, cours.

Ma mémoire conserve ses créations musicales, ses idées et ses réflexions sur l'enseignement et la transmission.  Surtout la grande idée qu'il m'a toujours exprimé : la musique était la vie et la vie était la musique.
André organisant souvent des rencontres de musiciens dans son appartement auxquelles il me conviait.

Ces idées sur l'enseignement ont germé en moi depuis notre première rencontre. Je les ai transmis dans mon enseignement à Paris, j'ai continué en Israël.  Le livre "Microcosmos pour Guitare" composé par André à Paris me permet, en voulant en faire un disque et un blog de révéler la beauté et l'intelligence de son écriture musicale et pédagogique en particulier pour la guitare.

Je lui avais suggéré quand il habitait encore à Paris, d'écrire un recueil de morceaux pour la guitare. Ce fut la naissance de "Microcosmos pour Guitare".
J'étudiais alors avec les concertistes Ida Presti et Alexandre Lagoya.
A mon grand regret,  ils n'ont pas eu l'air d'apprécier ce livre.
Malgré cela, ma confiance dans ce recueil n'a jamais été entamée. Je l'ai enseigné dans tous les endroits où j'ai été professeur.
J'avais rêvé de pouvoir l'enregistrer avant le départ d'André.

Mon admiration pour André et pour ses œuvres, à mon sens, n'est pas de l'idolâtrie mais une démarche excessive, trop lyrique ou trop spontanée.  Cet excès le mettait-il dans une position double ? A la fois jouir de compliments et en même temps être gêné parce que trop de compliments peuvent masquer des énergies négatives comme l'Envie.
Pourtant, je ne parlais pas de son quotidien d'une manière admirative. Lui-même en parlait très peu.  Mon admiration était éthique et esthétique dans l'écoute et sa manière de décrire ses affects.
Les critiques qui me venaient alors à l'esprit étaient injustes et manquaient de largesse.
La forte personnalité d'André le protégeait des compromis face au monde, comme un marin qui dirige son bateau malgré la tempête.
Le monde extérieur ne fléchissait pas son âme. Il avait trouvé l'équilibre entre son intériorité et son extériorité. Entre le vivre et l'exister.

Je n'ai pas cet équilibre. Je m'efforce jusqu'à présent de comprendre et d'écouter mon intérieur pour aller vers mon extérieur.
L'équilibre est-il de chercher entre le dehors et le dedans ?

Depuis mon enfance, je ressens un très grand malaise quand je suis en société,
même à l'intérieur de la cellule familiale. 
Je suis moins ému et troublé dans un dialogue face à face.

Pour contourner ce malaise, enfant je me suis imaginé vivant dans un cirque la vie d'acrobate.  Adolescent, mon fantasme a transformé l'acrobate en musicien.
Ces représentations de moi-même au-dessus de l'abîme, la corde du funambule ou la scène du musicien étaient-elles créés pour soulager mon malaise. 
Je rentrais, à cause de ce malaise, dans la solitude de l'artiste.
Ne pas être DANS le monde tout en voulant être AVEC le monde.
Jouer me donnait la confiance d'être là,  présent dans l'ici et le maintenant. Je n'étais plus dans la projection d'un Moi idéal.

En septembre mil neuf cent quatre-vingt-deux, après quelques mois de vie en Israël, ce malaise avec la société s'est accentué, aggravé par une nouvelle langue que je n'arrivais pas à assimiler.
M'étant confié à André, il me suggéra une psychanalyse allant jusqu'à me trouver quelqu'un avec qui je puisse échanger dans ma langue maternelle.

André, depuis notre rencontre, trente-quatre ans plus tôt, avait déjà commencé à me parler de la psychanalyse et de sa propre expérience thérapeutique à Paris. 
Il avait lui-même été conseillé par son ami le compositeur György  Kurtág.

Sa psychanalyste avait insisté sur l'importance thérapeutique de la composition pour André. Grâce à elle est née à Paris l'œuvre d'orchestre "Petit Enfer".
J'ai assisté à la création et aux répétitions de cette œuvre.
Souvent,  je l'écoute et ressens de nouvelles impressions qui se superposent aux sensations que j'avais initialement ressenties.
Je m'aperçois alors avec quelle intensité,  j'ai vécu la musique d'André.

Il faudrait établir une liste de tous les amis d'André que j'ai connu et rencontré.
Au début des années soixante, j'ai commencé à voyager en Hongrie. Je voulais rencontrer ses amis d'enfance et d'adolescence.
Invité par Miki Erdélyi, j'ai résidé dans la villa, héritée de son père, située Virágárok Utca, la rue des roses à Buda.
Lors de mon premier séjour qui a duré trois mois,  j'ai pu vivre une vie hongroise, connaître peu à peu les amis d'André, restés, malgré eux, en Hongrie. J'avais déjà rencontré à Paris ceux qui avaient réussi à sortir lors de la révolution de mil neuf cent cinquante six.

Hedi Tarjan faisait partie du groupe de scouts dirigé par Miki. Elle parlait suffisamment bien le français pour que cela suffise à créer entre nous un très grand rapprochement. Cette complicité a duré, s'approfondissant jusqu'à sa disparition, en Israël, il y a cinq ans.

Lors de ce premier séjour, j'ai aussi rendu visite au père d'André qui m'a confié une petite valise contenant  les premières partitions d'André, ses chaussures d'enfants et quelques objets symboliques que j'ai précieusement gardé pour les lui rendre à mon retour à Paris. J'étais très fier de lui rapporter une part de son enfance. André était content mais déjà loin de cette espèce de nostalgie.

J'ai beaucoup correspondu avec Miki et sa femme Zsugi qui arrivaient à parler et écrire le français. Dans toutes leurs lettres,  ils me pressaient de venir en Hongrie et de rester près d'eux. 
Désireux d'accéder à leur souhait et de me perfectionner dans la musique et la guitare, j'ai alors fait une demande de bourse d'étude qui a été accepté par les gouvernements français et hongrois en mil neuf cent soixante-sept.

En mil neuf cent soixante-huit,  j'ai vécu neuf mois à Budapest, d'abord chez Miki et les derniers mois dans une chambre loué à Pest.
Ainsi, j'ai pu rencontrer les amis d'André, étudier dans la même académie que lui, apprendre et parler un peu le hongrois et faire des connaissances qui perdurent encore aujourd'hui. 

En mil neuf cinquante-six, j'ai habité Strasbourg, le foyer juif dirigé par Monsieur Blum.
Dans cette même institution, j'ai côtoyé Daniel Epstein qui est devenu Rabbin et professeur de philosophie. Il habite aujourd'hui Jérusalem, enseigne et fait des conférences dans beaucoup d'institutions en Israël et à l'étranger.
Grâce à André qui étudiait avec lui, j'ai pu renouer cette relation et suivre son enseignement.
Nous sommes devenus amis.






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