Souvenir de ma relation avec André Hajdu 26-09-16
26/09/2016
J'ai
témoigné de l'admiration
pour André, son personnage et
sa musique.
Lors
de nos entretiens, inévitablement, je
trouvais des paroles pour lui exprimer comment telle œuvre musicale ou
telle pensée m'avaient bouleversé.
André se racontant,
j'attendais qu'il fasse une pause dans son discours. Parfois impatient de parler, je
l'interrompais.
Je
m'interroge depuis et encore sur mon enthousiasme et la façon dont je ne peux
pas m'empêcher d'admirer.
L'admiration
serait-elle une forme d'idolâtrie ?
Je
me pose la question s'il était gêné et à quel moment venait
son embarras quand je l'admirais.
Était-il gêné pour moi, par moi,
pensant que j'avais dépassé une limite ?
Dire
je t'adore, est-ce un prolongement
excessif du verbe aimer ?
Quel
est le rapport entre admirer, aimer, adorer ?
Cette
recherche fait-elle partie des jeux du langage ou a-t-elle des racines plus
profondes ?
Où placer la limite de
l'admiration, de l'amour, ou de l'adoration ?
Pourquoi
André était-il gêné ? Par humilité ou par peur de la
pauvreté de mon interprétation ?
Ces
conversations se déroulaient deux fois
par semaine. Les derniers temps, on se retrouvait dans un café nommé le Lieu de Isaac,
situé boulevard de la
maison du pain דרח בית לחם. J'aimais cet
endroit, il me rappelait un café d'Italie.
Plus
tard, André a voulu changer
pour un grand café bourgeois français que je n'aimais
pas, mais qui avait ses faveurs pour ses merveilleux gâteaux.
A
peine installés, il commençait à me parler avant même que les serveurs
apporte notre commande.
Ma
première question, si
j'arrivais à parler avant lui était de savoir s'il
avait composé de la musique. Me répondant, ses paroles
coulaient tout en dégustant son gâteau avec ses gestes
d'enfant qui ne l'on jamais quitté. Il insistait pour partager son
plaisir gourmand avec moi.
André avait des problèmes d'insomnies, rêves et cauchemars.
La
nuit, la musique travaillait et sonnait dans sa tête.
Il
devait se lever pour écrire les musiques
qui l’empêchaient de dormir. Ne voulant
pas déranger Ruth ou les
voisins il renonçait à les entendre sur
son piano pour ne pas rompre le silence
de la nuit. C'était ses moments
nocturnes.
En
plus de la constance de nos rendez-vous dans les cafés, prolongeant ainsi
notre vie dans les cafés parisiens, il
m'invitait aux manifestations qu'il
donnait tels que concerts, musique, cours.
Ma
mémoire conserve ses
créations musicales,
ses idées et ses réflexions sur
l'enseignement et la transmission.
Surtout la grande idée qu'il m'a toujours exprimé : la musique était la vie et la
vie était la musique.
André organisant souvent
des rencontres de musiciens dans son appartement auxquelles il me conviait.
Ces
idées sur
l'enseignement ont germé en moi depuis notre
première rencontre. Je les
ai transmis dans mon enseignement à Paris, j'ai continué en Israël. Le livre "Microcosmos pour Guitare"
composé par André à Paris me permet, en
voulant en faire un disque et un blog de révéler la beauté et l'intelligence
de son écriture musicale et
pédagogique en
particulier pour la guitare.
Je
lui avais suggéré quand il habitait
encore à Paris, d'écrire un recueil de
morceaux pour la guitare. Ce fut la naissance de "Microcosmos pour
Guitare".
J'étudiais alors avec
les concertistes Ida Presti et Alexandre Lagoya.
A
mon grand regret, ils n'ont pas eu l'air
d'apprécier ce livre.
Malgré cela, ma confiance
dans ce recueil n'a jamais été entamée. Je l'ai enseigné dans tous les
endroits où j'ai été professeur.
J'avais
rêvé de pouvoir
l'enregistrer avant le départ d'André.
Mon
admiration pour André et pour ses œuvres, à mon sens, n'est pas
de l'idolâtrie mais une démarche excessive,
trop lyrique ou trop spontanée.
Cet excès le mettait-il dans
une position double ? A la fois jouir de compliments et en même temps être gêné parce que trop de
compliments peuvent masquer des énergies négatives comme
l'Envie.
Pourtant,
je ne parlais pas de son quotidien d'une manière admirative. Lui-même en parlait très peu. Mon admiration était éthique et esthétique dans l'écoute et sa manière de décrire ses affects.
Les
critiques qui me venaient alors à l'esprit étaient injustes et
manquaient de largesse.
La
forte personnalité d'André le protégeait des compromis
face au monde, comme un marin qui dirige son bateau malgré la tempête.
Le
monde extérieur ne fléchissait pas son âme. Il avait trouvé l'équilibre entre son
intériorité et son extériorité. Entre le vivre et
l'exister.
Je
n'ai pas cet équilibre. Je
m'efforce jusqu'à présent de comprendre
et d'écouter mon intérieur pour aller
vers mon extérieur.
L'équilibre est-il de
chercher entre le dehors et le dedans ?
Depuis
mon enfance, je ressens un très grand malaise quand je suis en société,
même à l'intérieur de la cellule
familiale.
Je
suis moins ému et troublé dans un dialogue
face à face.
Pour
contourner ce malaise, enfant je me suis imaginé vivant dans un
cirque la vie d'acrobate. Adolescent,
mon fantasme a transformé l'acrobate en
musicien.
Ces
représentations de moi-même au-dessus de l'abîme, la corde du funambule
ou la scène du musicien étaient-elles créés pour soulager mon
malaise.
Je
rentrais, à cause de ce
malaise, dans la solitude de l'artiste.
Ne
pas être DANS le monde
tout en voulant être AVEC le monde.
Jouer
me donnait la confiance d'être là,
présent dans l'ici et
le maintenant. Je n'étais plus dans la
projection d'un Moi idéal.
En
septembre mil neuf cent quatre-vingt-deux, après quelques mois de
vie en Israël, ce malaise avec
la société s'est accentué, aggravé par une nouvelle
langue que je n'arrivais pas à assimiler.
M'étant confié à André, il me suggéra une psychanalyse
allant jusqu'à me trouver
quelqu'un avec qui je puisse échanger dans ma langue maternelle.
André, depuis notre
rencontre, trente-quatre ans plus tôt, avait déjà commencé à me parler de la
psychanalyse et de sa propre expérience thérapeutique à Paris.
Il
avait lui-même été conseillé par son ami le
compositeur György Kurtág.
Sa
psychanalyste avait insisté sur l'importance thérapeutique de la
composition pour André. Grâce à elle est née à Paris l'œuvre d'orchestre
"Petit Enfer".
J'ai
assisté à la création et aux répétitions de cette œuvre.
Souvent, je l'écoute et ressens de nouvelles
impressions qui se superposent aux sensations que j'avais initialement
ressenties.
Je
m'aperçois alors avec
quelle intensité, j'ai vécu la musique d'André.
Il
faudrait établir une liste de
tous les amis d'André que j'ai connu et
rencontré.
Au
début des années soixante, j'ai
commencé à voyager en Hongrie.
Je voulais rencontrer ses amis d'enfance et d'adolescence.
Invité par Miki Erdélyi, j'ai résidé dans la villa, héritée de son père, située Virágárok Utca, la rue des
roses à Buda.
Lors
de mon premier séjour qui a duré trois mois, j'ai pu vivre une vie hongroise, connaître peu à peu les amis d'André, restés, malgré eux, en Hongrie.
J'avais déjà rencontré à Paris ceux qui
avaient réussi à sortir lors de la révolution de mil neuf
cent cinquante six.
Hedi
Tarjan faisait partie du groupe de scouts dirigé par Miki. Elle
parlait suffisamment bien le français pour que cela suffise à créer entre nous un très grand
rapprochement. Cette complicité a duré, s'approfondissant jusqu'à sa disparition, en
Israël, il y a cinq ans.
Lors
de ce premier séjour, j'ai aussi
rendu visite au père d'André qui m'a confié une petite valise
contenant les premières partitions
d'André, ses chaussures
d'enfants et quelques objets symboliques que j'ai précieusement gardé pour les lui rendre
à mon retour à Paris. J'étais très fier de lui
rapporter une part de son enfance. André était content mais déjà loin de cette espèce de nostalgie.
J'ai
beaucoup correspondu avec Miki et sa femme Zsugi qui arrivaient à parler et écrire le français. Dans toutes
leurs lettres, ils me pressaient de
venir en Hongrie et de rester près d'eux.
Désireux d'accéder à leur souhait et de
me perfectionner dans la musique et la guitare, j'ai alors fait une demande de
bourse d'étude qui a été accepté par les
gouvernements français et hongrois en mil
neuf cent soixante-sept.
En
mil neuf cent soixante-huit, j'ai vécu neuf mois à Budapest, d'abord
chez Miki et les derniers mois dans une chambre loué à Pest.
Ainsi,
j'ai pu rencontrer les amis d'André, étudier dans la même académie que lui,
apprendre et parler un peu le hongrois et faire des connaissances qui perdurent
encore aujourd'hui.
En
mil neuf cinquante-six, j'ai habité Strasbourg, le foyer juif dirigé par Monsieur Blum.
Dans
cette même institution, j'ai
côtoyé Daniel Epstein qui
est devenu Rabbin et professeur de philosophie. Il habite aujourd'hui Jérusalem, enseigne et
fait des conférences dans beaucoup
d'institutions en Israël et à l'étranger.
Grâce à André qui étudiait avec lui,
j'ai pu renouer cette relation et
suivre son enseignement.
Nous
sommes devenus amis.
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