souvenirs de ma relation avec André Hajdu 03-08-16 partie 1
Depuis le départ d’André pour ce grand voyage, les scènes
que j’ai vécues les trois derniers jours avant son décès me reviennent à la
mémoire, tournent dans ma tête.
Je ressens une grande responsabilité…
Le Chabbath trente juillet, il était devenu très faible. Je
l’avais quitté la veille, inquiet d’avoir senti son état. J’allais le voir tous
les jours depuis quelques temps, mais je n’allais pas le visiter le Chabbath. J’ai
appelé Yoni N. pour lui demander de venir me chercher. Nous sommes montés
ensemble à Givat Mordehaï. Il était environ dix heures – dix heures trente. Je
l’ai trouvé dans son lit. Ruth se reposait sur le lit conjoint.
Elle s’est levée, me dit « tu sais, nous avons discuté,
si tu allais venir ou non, je lui disais que tu ne viendrais pas. André m’a dit :
« Roger va venir », et je lui ai répondu « non, le Chabbath, le
Samedi, Roger ne vient pas », il a eu raison ».
Yoni a commencé à discuter dans la salle à manger avec Ruth.
J’ai demandé à André « tu veux que je te masse ? ». Alors, il
m’a répondu une phrase étonnante : « fais tout ce que tu peux ».
Cette phrase m’est restée gravée dans la mémoire, les jours ayant passé, elle a
pris une pluralité de sens pour moi. Elle s’était transformée en une question
de savoir jusqu’où je pouvais aller avec moi – même.
Cette phrase me donnait une grande responsabilité.
André savait – il intuitivement que si j’essaye de faire
quelque chose j’essaye de faire tout ce que je peux.
Mais cela donne à penser sur les sens des verbes
« faire » et « pouvoir ».
Nous avons quitté les Hajdu vers treize heures. J’ai invité Yoni
à prendre un café dans l’appartement que j’habite. Nous étions tous les deux
plus ou moins silencieux, et surtout tristes.
Après que j’eus finis de masser André, il me demanda où
était Yoni. J’allais chercher Yoni qui s’assit à côté du lit et commença à
chanter des œuvres d’André, celles qu’il connaissait par cœur. Je pense, après
coup, que sans le savoir, Yoni a eu un comportement qui venait du cœur. Il a su
instinctivement choisir la musique au lieu de rester passif et de souffrir de
voir André dans cet état.
Le lendemain matin, dimanche, le matin, assez tôt, (je ne
suis pas revenu voir André une deuxième fois ce samedi), je téléphone à Ruth, elle
ne répondait pas sur son téléphone fixe. Après un moment, elle m’a rappelé, me
disant « nous sommes au ‘heder miyoun’ (urgences) ». Je lui ai
demandé ce qui s’est passé, elle me dit « il avait quarante de fièvre,
j’ai appelé le service auquel on était abonnés, on a été à l’hôpital, on a
passé la nuit collés l’un contre l’autre parce qu’il tremblait de froid et de
fièvre ».
Je suis vite sorti pour prendre un taxi. J’étais très
inquiet, très désespéré aussi.
Le chauffeur de taxi était un homme digne. Il a respecté mon
silence. Le fait de lui avoir dit que j’allais aux urgences avait ouvert sa
compassion. Quelques minutes avant d’arriver, il s’est excusé que le trajet ait
pris du temps à cause des encombrements, qu’il ressentait mon angoisse… Les
minutes passées devant un feu rouge nous ont permis d’échanger quelques mots,
qui m’ont donné un moment de respiration.
Je sentais un homme sage, avec l’intelligence d’un cœur, et
une élégance de comportement. Un homme qui pouvait sentir et ne pas déranger.
Il m’apporta un peu de calme. Il m’a déposé aux urgences. Je suis allé dans la
pièce où était André. Ruth était là. André ne parlait pas. Je me suis approché
de lui, je l’ai embrassé. Puis, à un certain moment, un médecin est venu pour
faire une intervention sur André. Les soignants n’avaient pu trouver aucune
veine, il fallait pratiquer une petite opération, pour mettre les aiguilles
dans l’artère fémorale. Ruth est sortie de la pièce car elle ne pouvait voir
cette opération. Il était complètement déshydraté. Il n’avait pas mangé ni bu
depuis deux ou trois jours.
Le médecin a demandé de l’aide pour tenir la tête d’André,
tournée vers la droite.
Ruth dit au médecin : « André veut que ce soit
uniquement Roger qui le maintienne ». Le médecin a accepté que ce soit
moi. Il me demanda durant le cours de l’opération quels étaient mes liens avec
André. Il prépara l’endroit et l’acte comme dans une salle d’opération. Il me
dit « attrapez sa tête comme ça, de façon que je puisse opérer sous le cou
pour trouver les veines ». En m’approchant de son oreille, j’ai dit à
André : « on va te faire des piqûres, je dois te tenir la
tête ». Je ne laissais pas André sans information, pour qu’il ne soit pas surpris.
Malgré que nous fussions dans un hôpital, je me suis aperçu
de la violence qui y règne. Par manque de sensibilité, d’éducation, et par
accoutumance à la douleur, les infirmières se comportaient avec André sans
douceur et avec du bruit. Le bruit des machines, qui permettaient de surveiller
l’état du malade, émettaient des sons qui faisaient souffrir André, et avec ses
mains, il cherchait à nous faire comprendre de lui éviter cette douleur.
La violence existe dans tous les gestes, si on n’y prête pas
assez attention, le geste est ambigu et automatique.
Les gestes de la vie quotidienne, automatiquement, sans
s’apercevoir du lieu où l’on effectue ces gestes.
Bouger un lit, par exemple, geste anodin, prend une autre
signification, quand le malade est dans un lit d’hôpital. Moi qui pensais que
ce n’était qu’une toute petite opération, je me suis trompé, car elle a duré au
moins un quart d’heure. Ils l’ont piqué, mis des tuyaux avec plein de choses…
Pendant le temps que je maintenais sa tête, je lui parlais, il commençait à
souffrir et à bouger sa tête. Je lui disais « ça va être fini… ». Il
souffrait, et à un moment, j’ai du retenir sa tête qu’il voulait déplacer pour
éviter la douleur. Depuis le matin, il ne pouvait parler. Sa gorge était
tellement sèche, que la langue était collée contre le palais. Et il voulait
parler, mais les sons ne pouvaient pas sortir de son gosier. Il devenait
nerveux de ne pas être compris. Il fallait qu’il fasse des gestes. Après
l’opération, Daniel Epstein et Yoni étaient dans la chambre. André faisait des
gestes, il semblait vouloir dire quelque chose que chacun de nous trois a
interprété différemment.
Yoni a interprété les gestes d’André en donnant cette
signification « partez, laissez – moi seul ».
Daniel Epstein, au moment de partir, me dit qu’il a
interprété les gestes d’André comme « j’en ai marre, laissez – moi
tranquille, je veux mourir ». J’ai beaucoup pensé à ces deux différentes
interprétations : je me suis dit « à mon avis, ce n’est pas
ça ». On ne peut pas interpréter. Chacun interprète ce qu’il veut bien
comprendre.
Je n’ai pas à interpréter. Je suis resté à côté de lui. Je
n’ai pas voulu interpréter. J’ai pensé qu’il voulait s’exprimer, dire quelque
chose, et qu’il sentait qu’on ne le comprenait pas. Pour moi, c’était un
instant plus dramatique.
Peu à peu, grâce aux perfusions, il commençait à retrouver des
forces. Le visage s’est transformé, devenant plus clair. On est venus nous
annoncer qu’ils avaient trouvé un lit au huitième étage, dans le département de
médecine générale. Son médecin traitant n’avait pas de lit dans son service
oncologique. André aimait beaucoup son médecin traitant, qui le traitait depuis
le début de sa première maladie, la maladie d’Hodgkin. Son médecin est venu le
voir, et en parlant à Ruth, il a dit « dés qu’il y a une place, on montera
André dans notre service ».
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