souvenirs de ma relation avec André Hajdu 15-08-16 partie 6
Mon ami Sidi Lamine Diarra, que j’avais
connu à Paris, dans la filiation André, Dadou, Loulou, rencontré à Montparnasse
dans mes soirées au « Select » ou à la « Coupole », m’a
toujours reproché de ne pas prendre la place de « maître ». Être
professeur est une place difficile, une place du pouvoir et du savoir.
J’ai refusé ces positions car je
cherchais une transmission directe, sans passer par le rapport et la croyance
que l’on sait mieux ce que l’autre ne sait pas, par exemple jouer de la guitare.
Toute ma vie, dans les hiérarchies qui nous sont proposées, apprenti compagnon
maître, j’ai préféré la place d’apprenti et de le rester car ma passion d’apprendre
est sans limites. Comment transmettre ce que l’on croit savoir ? Être
humble, même devant ce que l’on a beaucoup appris. Savoir que l’on ne sait pas,
et pourtant, construire des rapports humains simples pour offrir à l’autre ce
que l’on a découvert pendant notre propre apprentissage.
André avait reçu le Prix d’Israël. Ses
amis l’avaient proposé pour ce prix. Il avait reçu aussi d’autres prix pour son
œuvre. Cela n’avait rien changé à sa manière d’être car les appellations « professeur »,
« maître », etc… ne le touchaient pas car il avait ce don naturel que
ses oreilles se fermaient, demeuraient sourdes à toute appellation mondaine et
admiration immodérée.
Comment transmettre un savoir d’une
façon vivante, fraîche, et avec amabilité.
André était imprévisible et il ne se
laissait enfermer dans aucune catégorie.
Pendant les sept jours qui suivent la
mise en terre, la famille est assise et reçoit les personnes venues apporter
leurs condoléances. Daniel Epstein, parlant après la prière de la fin du jour, se
basant sur une phrase de la Torah, a développé et a transformé la vision et la
pensée des gens qui s’étaient forgé une opinion sur André. Daniel Epstein, en commentant
cette phrase, expliquait que les comportements d’André appartenaient à deux
mondes. André avait un rapport difficile avec les objets, ne savait pas
boutonner sa chemise, mangeait comme un bébé, ce que nous prenions par nos
jugements hâtifs pour de la maladresse ou de l’incapacité. Sa tête était dans
les nuages, dans un autre monde, et il devait quand même accomplir les tâches
de notre monde. André n’était pas maladroit, dès qu’il s’asseyait devant son
piano, ses mains et sa musique nous prouvaient qu’il était complètement agile,
virtuose. Il devenait autre devant l’instrument qui permet de transformer une
musique intérieure en expression extérieure.
J’étais étonné devant ce changement
de comportement, André se disait hyperactif, son corps vivait dans ce monde des
gestes et des objets par lesquels nous devons passer pour effectuer, dans ce
monde des sujets et des objets, il était maladroit, mais extrêmement habile
dans le monde de la musique qui ouvre vers un autre monde qui peut se
rapprocher du monde de la prière. Par la musique, André est arrivé à la prière.
Il imaginait le monde à travers le monde de la musique, et voulait réunir ces
deux mondes.
Est – ce que cela signifie qu’il a
effacé toutes ces pensées psychologiques. Il connaissait bien cette pensée
psychologique. Depuis le début de notre rencontre, il m’en avait parlé. « André
est comme cela », « André est hyperactif », « André est
toujours occupé »… Daniel Epstein a expliqué que les gens qui travaillent
tout le temps et ne prennent jamais de repos. Je pourrais dire qu’André était
occupé et travaillait tout le temps. Daniel a raconté, d’après les explications
de le « Guemara » (Talmud), que dans cet autre monde, les gens aussi
sont occupés tout le temps. La nuit, André ne dormait pas, et me racontait dans
nos rendez – vous dans les cafés ses cauchemars, ses nuits affreuses, où il se
levait pour composer. La musique arrivait dans sa tête, ne pouvant la jouer pour
ne pas déranger les voisins.
Je vis cela aussi. La nuit, quelque
chose me travaille, je me lève, je commence à jouer, à écrire, et à faire…
Pour ma part, son hyperactivité, son
impatience, provenaient de la peur d’oublier le travail qui s’effectuait dans
sa tête, sans qu’il voulût. Il travaillait à rendre la vie musicale.
Mes découvertes nouvelles, le
privilège très rare que les musiciens acquièrent, est le sentiment pratique du
temps.
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