Microcosmos 02-04-17 1/3
Après avoir
enseigné pendant longtemps, en particulier le livre
« Microcosmos
pour Guitare », j'ai réfléchi, ces dernières années, sur la manière de se
comporter dans une relation où il s'agit de transmettre un savoir, et
d'approfondir cette relation avec une personne désireuse d'apprendre la musique
avec la guitare comme instrument.
J'ai commencé
la guitare très jeune, vers l'âge de 12ans, après avoir d'abord appris le
violon.
Au décès de mon
professeur de violon, j'ai attendu plusieurs années pour apprendre les bases de
la guitare avec mon premier professeur.
En 1956, j'ai
continué à Strasbourg avec le professeur Fernandez Lavie.
En 1958, j'ai
étudié à Paris avec le professeur Roche à l'école Paul Beuscher, boulevard
Beaumarchais.
En 1959, je me
suis inscrit à la « Schola Cantorum » où mes professeurs étaient Ida
Presti et Alexandre Lagoya.
Comment
transmettre simplement, avec amour, sans violence mon expérience ?
Comment être
prêt à s'ouvrir au maximum à l'autre ? S'ouvrir et ouvrir celui qui veut apprendre,
en lui donnant tous les moyens pour réaliser son désir d'apprendre et de jouer.
L'aider avec le maximum de mes connaissances.
En me
remémorant mes années d'enseignement, je suis à présent en mesure de voir mes
défauts et parfois la violence que j'ai déployé durant mon apprentissage. Cette
violence à laquelle nous sommes confrontés dans la vie et dans l'éducation.
Comment aborder
un élève qui vient vers vous, rempli de ses fantasmes, fantasmes
continuellement alimentés par les médias ou les idées culturelles qui circulent
et construisent des clichés.
Comment l'aider
à nettoyer ces clichés qui lui permettront de commencer à comprendre et à
sentir à partir de lui-même ?
Comment lui
faire sentir qu'il s'agit simplement d'ouvrir ses yeux et ses oreilles ?
Se concentrer
non seulement sur la relation maître-élève mais, sur aussi sur le son qui sort
de sa guitare et le "comment faire" pour que ce son sorte de l'instrument.
J'ai donc
décidé, dans les années 1960, pendant mes études d'ethnomusicologie, d'enseigner
sans passer par l'écriture.
Mon système
était dit audio-visuel.
Peu à peu,
j'amenais les notions de l'écriture comme une maman apprend le langage à son
enfant.
Écouter et
voir. Être là où on est, et se concentrer.
Je voulais
transmettre d'une manière active et non passive.
La manière
passive d'enseigner étant de mettre une partition sur le pupitre et de dire à
l'élève de la suivre à la lettre.
La manière
active, elle, est d'être devant le néophyte et de jouer jusqu'à ce qu'il mémorise
la musique.
Tout cela, se
faisant bien entendu, sans relation de puissance mais dans la douceur et une
envie profonde d'aider la personne, sans autoritarisme et sans
violence mais
avec de la patience.
Une présence
silencieuse, sans beaucoup d'explications, peut permettre une meilleure
concentration. Chercher la simplicité pour ne pas crisper ou faire peur à
l'élève.
Je décidais
d'adopter la manière orientale, apprise de mes professeurs d'ethnomusicologie.
La tradition orientale utilise le terme "poitrine contre poitrine"
dans son enseignement. La poitrine contient le cœur donc apprendre par cœur.
Ce face à face
où celui qui joue, donne et attend la réponse de son vis à vis, pour savoir si
la phrase est redite correctement et pouvoir éventuellement la corriger avec
douceur et patience.
Je rencontre,
encore aujourd'hui, des personnes qui ont appris avec moi, il y a longtemps, et
qui me dise se souvenir parfaitement de ce que je leur ai transmis.
Celui qui
donne, doit avoir beaucoup de doigté et de sensibilité, pour ouvrir la mémoire
et la concentration.
Entendre, voir,
faire et refaire, prendre et reprendre, jouer à nouveau jusqu'à mémoriser la
première phrase ou le premier ensemble de notes.
J'ai réussi à
faire mémoriser des pages entières de musique telles que les suites de J.S.
Bach sans l'aide d'une partition.
Par contre, je
leur demandais d'écrire la partition d'après leur mémoire et de la confronter
au texte.
Cette manière
de faire ressemble à l'apprentissage normal de la langue. On apprend d'abord à
parler, ensuite à lire et à former des phrases à l'aide de la grammaire. Je
l'ai employé pour transmettre la musique.
L'enseignement
doit rester vivant et non systématique. Penser la ligne droite ou la manière
scientifique de conduire une expérience ne sont pas les meilleurs moyens pour
arriver à jouer de la musique.
Il faut prendre
en compte que les chemins détournés sont plus efficaces quand il s'agit de
former un artiste. Choisir entre le sentier et l'autoroute.
Faire un
mouvement artistique n'est pas faire un mouvement d'une manière automatique.
Les techniques que l'on emploie pour robotiser les mouvements ne sont valables
ni pour former un "virtuose", ni un artiste.
Le mot « virtuose »
sous-entend que l'on peut jouer vite, beaucoup de notes et penser que l'on est
libre. Pour moi, la véritable liberté ne réside pas dans ce mot, mais dans
l'aisance, l'élégance que l'artiste doit acquérir pour que son corps ne le gêne
pas dans sa créativité.
Je considère
que pour faire de l'art, il faut réfléchir sur le sens des mots, leur étymologie.
Par exemple qu'est-ce que la technique ou le style, etc…
Pour dévoiler
un artiste ou plus simplement un amateur de musique, il faut que le
transmetteur fasse découvrir le mystère qu'est la musique par l'émerveillement
et l'étonnement.
Cela donne la
possibilité de provoquer la fraîcheur dans les gestes et les sens et ne pas
penser que nous répétons, mais penser au mot "reprise". Ainsi apparaîtra
une lumière nouvelle qui nous évitera de tomber dans l'ennui de la répétition
ou du quotidien.
Demander aux
amateurs de prendre attention. De faire attention à la relation avec leur
instrument, connaître l'instrument dans le plein sens du mot "connaître"
qui est "naître avec".
Apprendre à le
caresser et adapter son corps à cette forme.
Apprendre à le
faire sonner de toutes les manières possibles, comme un enfant avec un nouveau
jouet dont il va essayer de comprendre le fonctionnement.
Se souvenir de
cet état d'enfance où la tête, les sentiments, les sensations n'étaient pas
encombrés. Chercher simplement à jouer comme un enfant, avec la fraîcheur de
l'enfance.
Pour créer une
relation profonde avec quelqu'un qui vient vous voir et croit en vous, il faut
lui offrir quelque chose qui soit toujours frais, non idéologique ou dogmatique
(comme lui donner une partition et le laisser se débrouiller seul).
André Hadju, le
compositeur du livre « Microcosmos pour Guitare », a écrit des livres
pour piano, avec comme titre "La Voie Lactée". Ainsi dans ce titre,
il nous a ouvert déjà l'esprit de sa musique.
C'est de lui
que je tiens mes idées pédagogiques.
Il cherchait la
vie en croyant que la musique est la vie.
M'ayant invité
dans sa classe, alors qu'il enseignait la « Symphonie Héroïque » de Beethoven,
il s'est aperçu que les élèves s'ennuyaient de son discours. Il a alors arrêté
son cours.
Il a fait
pousser les chaises et les tables contre les murs et leur a demandé de danser
sur cette symphonie. Il s'est lui-même mis à danser.
Il aimait
vraiment enseigner. Malgré sa position de recteur à l'université de « Bar
Ilan », il
avait une préférence pour l'enseignement des plus jeunes.
Il cherchait à
faire comprendre particulièrement à ces jeunes, que la vie de la musique est la
vie tout court.
Il me racontait
comment il est important de ne pas tuer l'enfant qui est en soi.
De le garder en
vie pour ne pas le momifier, car c'est cette vie qui donne les énergies
créatrices.
Un enfant a
toutes les possibilités en lui, mais la vie lui demandera de faire des choix.
Alors comment conserver ces possibilités et ces rêves que les enfants fantasment
pour devenir ceci ou cela.
Après
l'expérience de faire danser les élèves sur la « Symphonie Héroïque »,
la mélodie a circulé de bouche en bouche, dans l'école.
Une des élèves
était venue lui expliquer que sa génération ne pouvait pas rester assise
longtemps. Ayant compris cela, André enseignait et faisait vivre la musique par
les mouvements.
Ces manières
d'enseigner ont changé très rapidement dans son parcours de pédagogue, car les
élèves qui ont appris avec lui ont découvert cette liberté, dont j'ai parlé
dans un paragraphe précédent.
André, jusqu'à
son départ, a enseigné, même malade et contraint de rester chez lui. Une jeune
personne se rendait à son domicile pour apprendre à devenir compositeur.
Choqué par la
maladie d'André, j'avais formé le projet d'enregistrer un disque et de faire un
blog pédagogique que je diffuserai sur internet.
Le disque me
tenait encore plus à cœur, car j'aurai voulu qu'il puisse l'entendre.
J'ai beaucoup
réfléchi sur le rapport entretenu avec un instrument de musique, en particulier
et les rapports avec les choses.
André aussi m'a
enseigné la non-violence.
Comment
comprendre et sentir la violence en nous et dans les autres, la
violence dans
le langage et le comportement ?
Comment un
instrument telle que la guitare peut nous aider si on écoute le son, si on
écoute réellement ce qu'on fait, ce qu'on joue ? Le son reflète la manière et
la profondeur de notre jeu.
Avoir un
rapport harmonieux avec son instrument, c'est apprendre à le tenir et à écouter
comment il raisonne.
Éviter un cadre
rigide autour de l'élève. L'aider à se découvrir !
C'est une voie
beaucoup plus riche et inventive.
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