Wednesday, November 30, 2016

souvenirs de ma relation avec André 15-08-16 partie 10


André me disait ne pas être un virtuose. Hedi Tarjan admirait beaucoup la manière de jouer du piano d’André et disait de lui qu’il était un grand pianiste.

Que veut dire « être virtuose » ? Que veut dire « être un grand pianiste ? ».

Avec son piano, il ne semblait pas avoir de problème, ne pensait pas à la technique, ni à son rapport avec l’instrument. Il était à l’aise dans son jeu, dans ses improvisations, avait un rapport parfait avec la lecture de ses partitions et le déchiffrage. Comme il n’aimait pas porter ses lunettes de vue, qu’il oubliait toujours dans les endroits de son appartement, il forçait sur ses yeux pour continuer à jouer.

Il avait établi comme par instinct un rapport élégant avec l’instrument, son piano, il n’était pas gêné et avait intégré l’instrument en lui. J’ai été souvent étonné de la restriction qu’il disait avant de jouer : « je ne suis pas un virtuose ». Peut – être ses comparaisons et jugements instinctifs venaient de mon imagination et de la manière de faire des jugements hâtifs.

Les dernières semaines avant le départ d’André, je jouais sur la guitare d’Arik. Jouant en pleine nuit pour profiter de son silence, le chevalet s’est décollé avec fracas. La guitare m’a sauté des mains. J’ai eu quand même la présence d’esprit de la rattraper avant qu’elle ne tombe à terre. Le lendemain, j’ai téléphoné à Arik pour lui raconter ce qui était arrivé. Il m’a répondu : « peut – être n’aime – t – elle pas ce que vous avez joué ». Après cette conversation, je me suis posé des questions, et lui ai répondu : « mais Monsieur Arik, il était deux ou trois heures du matin, je jouais le plus doucement possible, et je jouais des harmoniques ». Qu’y a – t – il de plus miraculeux qu’une harmonique. C’est comme un oiseau qui se pose. Le doigt touche la corde sans effort et sans appui. Un effleurement. C’est l’une des choses les plus fines que l’on peut faire avec un instrument à cordes. Pourtant, le chevalet s’est décollé. Je pensais qu’Arik avait répondu par plaisanterie, ou par désir de ne pas dévaloriser l’instrument qu’il avait fabriqué. J’ai raconté cet évènement et la conversation qui a suivi à Yaniv. Celui – ci m’a donné une autre explication : « il y a des moments où l’on joue d’une telle manière que le son, même le plus doux possible, arrive à briser une vitre ». Il est donc possible de comprendre ainsi que dans ce moment de jeu, même le plus doux possible, les vibrations que je donnais aux cordes étaient tellement douces et puissantes… que cela a décollé le chevalet.

Quel est ce besoin qui nous porte à chercher une logique et une explication aux évènements qui nous arrivent et à trouver des justifications ?

Les réactions des gens auxquels j’avais raconté cet évènement me donnaient toutes sortes d’interprétations.

Pour moi, l’essentiel, c’est comment créer son rapport, sa relation avec l’instrument, pour arriver à rendre que son jeu devienne magique. André pouvait être un magicien avec le piano. Quand j’écoute son avant – dernier disque, dont il avait composé l’accompagnement à partir de mélodies Yiddish, sa façon d’accompagner la mélodie est proprement fabuleuse. Pourtant, il me disait qu’il avait dû prendre beaucoup de temps pour arriver à aimer ce répertoire Yiddish. J’ai eu la chance de le suivre et de l’entendre parler pendant les moments créateurs qu’il m’expliquait dans nos rencontres dans les cafés. Depuis le début de notre rencontre, j’ai suivi en l’écoutant ses évolutions et ses recherches dans tous les domaines, musical, littéraire, religieux. André ne manquait jamais de m’associer aux évènements qu’il donnait, conférences, concerts… Quand il se produisait, il me téléphonait toujours pour m’inviter.

Il m’invitait aussi pour les mariages de ses enfants. Mais comme je ne supporte pas les mariages, ou toutes sortes de cérémonies, je me suis forcé d’y assister. Mais après ces expériences, où je me sentais très malheureux de ne pas pouvoir m’intégrer, je lui ai dit : « André, je ne vais plus dans les mariages, cela ne m’intéresse pas ». Il a accepté. Il acceptait mon côté « antisocial ». Une problématique que je travaille avec mes répondants. Essayer de comprendre le malaise que j’ai eu depuis mon enfance, dans ma famille en général, dans les fêtes, religieuses ou laïques.

Depuis quelques années, je fais en sorte de voir les gens seul à seul, au café, car c’est un endroit neutre. Je refuse des invitations à domicile, que ce soit le mien ou celui de la personne qui m’invite, pour ne pas avoir à subir  leurs règles non dites ni exprimées. Le café est un endroit neutre, où je me sens à l’aise, n’ayant pas à subir ces règles, et me permettant de me sentir plus à l’aise et de créer un « face à face » égalitaire.


A Paris, à l’époque où je n’avais pas encore établi mes règles personnelles, j’allais le visiter rue Guy Patin, ou dans les appartements qu’il avait habités, et les cafés ou l’on se donnait rendez – vous. A Jérusalem, ces dernières années, on se voyait dans les cafés de « dereh Beith Lehem » (boulevard de la « Maison du Pain »), dans un café qui s’appelait « Le Lieu d’Isaac », et plus tard dans un autre café situé un peu plus loin sur le trottoir d’n face appelé « Grand Café » tenu par des français, faisant des bonnes pâtisseries. André l’avait choisi, il aimait y prendre une pâtisserie. J’avais vaincu ma résistance car je considérais ce café trop « bourgeois français » parce que le plaisir de le voir déguster une pâtisserie qu’il choisissait avec soin était plus fort que ma résistance à la bourgeoisie. Il n’était pas entièrement pris par sa dégustation et son amour des choses sucrées, il me parlait tout en mangeant de ce qu’il faisait, de ses compositions, de ses nuits difficiles… 


André chez lui dans le salon de son appartement.

 

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