souvenirs de ma relation avec André Hajdu 15-08-16 partie 9
Il avait un rapport étrange avec les
choses. Quand je regardais sa manière de se comporter, j’avais naturellement une
attitude critique, à cause de mes critères et de mon éducation. Pourtant, quand
je le voyais jouer du piano, c’était un autre homme, à l’aise avec son objet. Ses
mains coulaient sur les touches du piano. Sa maladresse avait disparu. Je ne l’ai
jamais entendu parler de technique pianistique. Sa façon de jouer de la musique
était là, donnée, reçue. Le voyant vivre, je voyais la difficulté qu’il avait avec les objets. J’ai pensé un
moment que tous les objets ne l’intéressaient pas et qu’il ne les intégrait pas
dans sa vie. Il était dans ce monde, et en même temps dans un autre monde. Le monde
de l’intelligence et de la musique.
J’avais quinze ans. Il me parlait de
littérature, de ce qu’est l’âme, l’intérieur… Il me disait très souvent que
D.ieu réside à l’intérieur de nous – mêmes. Cela me donnait envie d’étudier.
Que veut – il dire ? Où se trouve l’âme ? Qu’est – ce que
l’âme ?
Sa parole m’a poussé à étudier et à
approfondir sans cesse le sens des mots. En hébreu, « néshama »
(« âme »), c’est « néshima » (« souffle »). Le
souffle, avec la respiration et l’inspiration. Beaucoup de traditions
maintiennent le « savoir respirer » comme savoir essentiel pour la
vie. Mieux respirer nous permet de mieux vivre. Le souffle des mots est une
forme de respiration, comme la prière, qui est une forme respiration avec les
mots.
L’étude permet plus de discernement.
Mes études sont toujours provoquées par la rencontre avec l’autre et sa
question, avec Daniel Epstein, André, et les personnes me posant des
« problèmes », me donnant à réfléchir et à chercher le sens des mots,
et le sens de la vie. Je suis toujours confronté dans ma vie entre le désir
d’être immobile, de ne pas bouger, et le fait que l’acte nous oblige à nous
mouvoir. Comment faire que ces mouvements ne soient pas assimilés à un
désordre, à une incohérence, verbale ou physique, mais à une recherche de
cohérence, de sens, d’élégance.
André avait sa manière d’être
élégant. Son comportement posait des problèmes à beaucoup de gens. Ces problèmes,
cette confrontation, permettaient aux gens qui l’ont côtoyé de trouver leur
propre cohérence.
En lui demandant des explications sur
sa manière d’être, il m’a dit : « je suis comme un nuage ». Un
nuage a une espèce de forme. Sa forme change, se transforme. En cherchant à
contempler un nuage, je cherche à délimiter, imaginer une forme qui peut être
lisible. Trouver dans ce qui nous est proposé par Celui qui a créé la nature, à
interpréter le sens de la forme, c’est chercher à lui donner une forme.
Quelles sont les formes de
l’expression verbale ? Y a – t – il une forme dans une manière d’être, de
se comporter ? Une forme permettant une cohérence. Suis – je élégant,
quand je joue, suis – je moins crispé… La forme est liée avec l’écoulement.
Quand on voit un ruisseau couler, malgré les cailloux, il y a quand même une
cohérence. L’eau se glisse entre les cailloux sans les affronter de face.
Ne dois – je pas travailler sur
cette recherche de cohérence entre le langage, la manière dont je parle, la
manière dont je joue, la manière dont je vis, la manière dont je bouge mes
mains…
Conférence au studio Haoman Haï sur la vocalisation avec un intermède musical.
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