Monday, December 05, 2016

souvenirs de ma relation avec André 20-09-16 partie 2

Tout point de vue est faux.
Dans l'écriture de mes souvenirs,  j'essaie de rester proche de ma relation avec André et de cette réalité que j'ai vécu. Mais le temps fait son travail comme il le fait avec le travail du rêve.
Lorsque je tente d'écrire un rêve qui vient de me réveiller,  je m'aperçois que dès que la plume touche le papier le rêve s'est déjà transformé.
Mon point de vue peut être faux parce que le temps et l'écriture l'ont modifié.

Le choc ressenti en arrivant à l'hôpital ce lundi matin à la vue d' André entièrement recouvert m'a profondément troublé. J'avais imaginé le trouver en meilleur état grâce aux transfusions multiples qu'il avait reçu.
Ce choc affectif me laisse dans l'expectative de penser qu'il eut pu en être autrement s'il n'avait pas enlevé son masque.
Dans les 2 derniers jours, il n'a cessé de tenter d'arracher ce masque.

Comment doit on se comporter dans l'urgence ?
Une histoire m'obsède : Je suis sur le trottoir, en face je vois un enfant qui lâche la main de sa mère et se précipite sur la chaussée. Une voiture arrive. L'enfant ne voit pas la voiture. Que faire ? Crier ? Si je crie, ce cri va t'il arrêter le chauffeur ou à surprendre l'enfant ? Va t'il transformer la situation ?

Urgence ! Il faut choisir vite pour agir.
Je pense qu'Il faut crier parce que même si l'on ignore où le cri aboutira, l'action de crier ouvre une possibilité.  

L'urgence devant la chose inéluctable nous laisse des sentiments et des questionnements infinis sans possibilité de révision de l'acte passé.
Cela m'amène à me demander si j'ai assez fait pour André et si je n'aurai pas pu mieux interpréter ses gestes et son comportement quand il n'arrivait plus à parler. 

J'avais l'habitude lors de mes visites à son domicile de le trouver alité. Je  l'embrassais et lui demandais s'il souhaitait un massage.
Je savais qu'il attendait mes visites avec impatience et s'enquérait  toujours auprès de Ruth "Quand Roger va t'il arriver" ?
Il avait aussi l'habitude de me téléphoner pour me faire part de son attente.
Les dernières paroles d'André avant son grand voyage : FAIS TOUT CE QUE TU PEUX.
A ce moment précis,  je place ces mots uniquement dans le contexte de mon action de  massage.
Puis cette phrase a commencé à tourner dans ma tête. Le message d'André allait bien plus loin.
Je réfléchis sur le FAIRE, sur le TOUT, sur le POUVOIR.
Parlait-il du dépassement de soi, de la possibilité de dépasser ses propres limites, du pouvoir de l'espoir, de la lisière entre le possible et l'impossible ?

Pendant une de ses premières chimiothérapies, affaibli par tous ces médicaments qui transformaient son corps je l'ai aidé à revenir dans son lit. Là dans un moment que j'ai pris pour un accès de délire, il m'a dit : "je veux que tu vives" !
Ruth est arrivée, il a alors répété "je veux que Ruth vive et toi aussi" !

Devant ces paroles, l'instinct nous porte à trouver des justifications.
Nous détournons, par peur, la portée prophétique du message.
Les paroles entendues in vivo restent dans la mémoire et prennent corps et intelligibilité à partir de l'absence.
L'absence, la disparition,  le départ des êtres aimés nous amènent à d'autres réflexions existentielles. Nous commençons à voyager avec eux.

La volonté d'André de me voir vivre exprimait chez lui la peur que je me laisse sombrer à cause de son absence. Nous aurions eu 60 ans d'amitié.



  


0 Comments:

Post a Comment

<< Home