souvenirs de ma relation avec André 20-09-16 partie 2
Tout
point de vue est faux.
Dans
l'écriture de mes
souvenirs, j'essaie de rester proche de
ma relation avec André et de cette réalité que j'ai vécu. Mais le temps
fait son travail comme il le fait avec le travail du rêve.
Lorsque
je tente d'écrire un rêve qui vient de me réveiller, je m'aperçois que dès que la plume
touche le papier le rêve s'est déjà transformé.
Mon
point de vue peut être faux parce que
le temps et l'écriture l'ont modifié.
Le
choc ressenti en arrivant à l'hôpital ce lundi matin à la vue d' André entièrement recouvert m'a
profondément troublé. J'avais imaginé le trouver en
meilleur état grâce aux transfusions
multiples qu'il avait reçu.
Ce
choc affectif me laisse dans l'expectative de penser qu'il eut pu en être autrement s'il
n'avait pas enlevé son masque.
Dans
les 2 derniers jours, il n'a cessé de tenter d'arracher ce masque.
Comment
doit on se comporter dans l'urgence ?
Une
histoire m'obsède : Je suis sur le
trottoir, en face je vois un enfant qui lâche la main de sa mère et se précipite sur la chaussée. Une voiture
arrive. L'enfant ne voit pas la voiture. Que faire ? Crier ? Si je crie, ce cri
va t'il arrêter le chauffeur ou à surprendre l'enfant
? Va t'il transformer la situation ?
Urgence
! Il faut choisir vite pour agir.
Je
pense qu'Il faut crier parce que même si l'on ignore où le cri aboutira,
l'action de crier ouvre une possibilité.
L'urgence
devant la chose inéluctable nous laisse
des sentiments et des questionnements infinis sans possibilité de révision de l'acte
passé.
Cela
m'amène à me demander si j'ai
assez fait pour André et si je n'aurai
pas pu mieux interpréter ses gestes et son
comportement quand il n'arrivait plus à parler.
J'avais
l'habitude lors de mes visites à son domicile de le trouver alité. Je l'embrassais et lui demandais s'il souhaitait
un massage.
Je
savais qu'il attendait mes visites avec impatience et s'enquérait toujours auprès de Ruth
"Quand Roger va t'il arriver" ?
Il
avait aussi l'habitude de me téléphoner pour me faire part de son
attente.
Les
dernières paroles d'André avant son grand
voyage : FAIS TOUT CE QUE TU PEUX.
A
ce moment précis, je place ces mots uniquement dans le contexte
de mon action de massage.
Puis
cette phrase a commencé à tourner dans ma tête. Le message
d'André allait bien plus
loin.
Je
réfléchis sur le FAIRE,
sur le TOUT, sur le POUVOIR.
Parlait-il
du dépassement de soi, de
la possibilité de dépasser ses propres
limites, du pouvoir de l'espoir, de la lisière entre le possible et l'impossible
?
Pendant
une de ses premières chimiothérapies, affaibli par
tous ces médicaments qui
transformaient son corps je l'ai aidé à revenir dans son lit. Là dans un moment que
j'ai pris pour un accès de délire, il m'a dit :
"je veux que tu vives" !
Ruth
est arrivée, il a alors répété "je veux que
Ruth vive et toi aussi" !
Devant
ces paroles, l'instinct nous porte à trouver des justifications.
Nous
détournons, par peur,
la portée prophétique du message.
Les
paroles entendues in vivo restent dans la mémoire et prennent corps et
intelligibilité à partir de
l'absence.
L'absence,
la disparition, le départ des êtres aimés nous amènent à d'autres réflexions
existentielles. Nous commençons à voyager avec eux.
La
volonté d'André de me voir vivre
exprimait chez lui la peur que je me laisse sombrer à cause de son
absence. Nous aurions eu 60 ans d'amitié.
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