13-09-16 mail Arturo
Aujourd’hui on est le mardi treize septembre. Le temps passe
vite. Ce n’est pas comme ce que disait mon ami André « le temps ne passe
pas ». Pour moi, j’ai l’impression qu’il passe vite.
Cher Arturo
Fabian, cher ami,
Jonathan est revenu en meilleure santé. Je voudrais vous écrire
aujourd’hui une longue lettre, non seulement pour vous remercier, mais pour
vous expliquer aussi les liens particuliers que j’ai entretenus avec Atahualpa
Yupanqui. J’écoute depuis quelques mois avec beaucoup d’attention et de concentration
tout ce qui parait sur You Tube. Grace à cela, je pus vous découvrir dans une émission
qui s’appelle « dialogos », parler de votre travail que je respecte profondément,
dont j’attends les résultats, le fruit.
Hier, j’ai passé beaucoup de temps à la Poste pour vous
envoyer le restant de la somme qui vous est due. J’attends avec impatience
aussi les livres et les disques qui vont m’aider.
Je ne sais comment vous exprimer, cher Arturo, la
reconnaissance que je vous dois, tout ce que j’apprends de vous en vous
regardant jouer, et le respect que j’ai pour vous, qui, je pense, a passe une
grande partie de son temps et de sa vie a s’occuper de l’œuvre de Atahualpa
Yupanqui.
Comment dire ce que je dois a Atahualpa Yupanqui ?
Comment ces derniers temps, j’ai redécouvert un homme de cœur, un sage, un
grand musicien ?
Plus je le regarde, plus je l’entends, mon espagnol s’améliorant
grâce à vous, grâce à lui surtout, qui parle beaucoup, c’est un grand conteur.
Malheureusement, je suis un peu paresseux avec les langues,
je laisse passer les mots que je ne comprends pas, excusez moi, je sais que
c’est une erreur, que j’essaye d’arranger, mais la recherche sur ordinateur me
fatigue beaucoup, je laisse passer. Mais avec l’espoir que j’aurai un moment de
réaction pour préciser le mot, comprendre sa pensée, si l’on peut comprendre
une pensée aussi profonde, qui donne énormément d’espoir.
Je saurai trouver les mots. Non pas seulement pour vous
remercier, mais pour vous témoigner de tout ce que je vous dois.
Quelle est cette dette ?
La dette de quelqu’un qui veut apprendre, qui veut se
perfectionner, qui veut réunir la voie et la voix de l’éthique, et la musique.
C'est-à-dire qui a cherche toute sa vie a savoir ce que sont les mots
« beau » et « bon ». Comment peut-on associer quelque
chose.
Il y a dans le langage commun, très souvent l’on entend les
gens dire « c’est beau » ou « c’est bon ».
Il y a une confusion.
Mais peut être que ce langage commun nous donne a réfléchir
que ce qui est beau est bon aussi, qu’il n’y a pas de séparation entre le
« bon » et le « beau ».
C’est le chemin que j’ouvre chaque jour, chaque nuit, que je
nettoie, pour avoir plus de clarté, a pouvoir jouer, parler, avec plus de clarté
et de précision. Ne pas dire sans faire. Reunir la parole a l’action. Que la
parole soit aussi une promesse.
Je voudrais vous raconter mon expérience avec Atahualpa
Yupanqui.
A partir de douze ans, après avoir étudié quelques années le
violon, mon professeur étant mort, j’ai choisi seul de vendre mes deux petits
violons, et d’acheter ma guitare. J’ai trouve seul un professeur.
Jusqu'à l’année mil neuf cent cinquante sept, ou j’ai
rencontre mon ami André Hajdu, compositeur, fuyant la Hongrie après l’invasion
des tanks russes a Budapest, qui s’est retrouve a Paris, et que j’ai eu la
grande chance de rencontrer.
A partir de lui, ma vie a change. Il m’a donne confiance. Je
jouais déjà de la guitare. Je m’étais inscrit dans une première école. J’étais
nouveau à Paris, je ne savais pas ou chercher, et après quelques mois, j’ai
trouve l’école de la Schola Cantorum, ou j’ai rencontre mes professeurs
Alexandre Lagoya et Ida Presti.
J’ai commencé à continuer à vouloir apprendre la guitare.
Dans mes recherches ethnomusicologiques, grâce à l’aide d’André,
qui m’a fait entrer à l’Ecole des Hautes Etudes des Sciences Sociales et
Pratiques, j’ai pu découvrir les musiques que l’on appelle « les musiques
populaires ». Ce qui m’a rapproche, petit a petit, de la pensée d’Atahualpa
Yupanqui. Atahualpa Yupanqui était déjà à Paris, je n’ai pas une très
bonne mémoire des dates, mais je pense que cela devait être dans les années mil
neuf cent soixante. J’ai eu la chance (ma tête toujours tournée vers la
question « qu’est ce que la musique, qu’est ce que le mouvement, qu’est ce
que le temps »), de contempler un homme totalement libre de la voix et de
la guitare, s’exprimant en espagnol dans un pays francophone, et se faisant
comprendre malgré que quatre vingt pour cent du public ne comprenait pas
l’espagnol.
Etant pauvre a cette époque, j’avais toujours
l’intelligence, quand je voulais vraiment entendre des concerts, de trouver des
endroits ou les portes étaient encore ouvertes, comme derrière les théâtres, ou
une porte que l’on avait oublie de fermer, comme l’entrée des artistes…
Ainsi, j’ai pu, si je me souviens bien, c’était dans un théâtre
qui s’appelle la « Pagode », écouter toute une série de concerts qu’Atahualpa
Yupanquia a donnés, et d’aller le voir, lui serrer la main, presque en
pleurant, la gorge asséchée, ne trouvant pas mes mots, avec un grand respect.
Mais j’ai eu la chance de l’entendre plusieurs fois.
A l’époque, étant dans mes études de guitare avec Alexandre
Lagoya et Ida Presti, j’étais un peu surpris, croyant en une espèce de
tradition du mouvement, j’étais fixe dans ce que l’on appelle « l’attitude
classique » vis-à-vis de son instrument, dans une attente et une croyance
de ce que m’enseignaient mes maitres Alexandre Lagoya et Ida Presti.
Donc je n’ai pas pu apprécier, il y a cinquante ans, la grandeur
et la façon magistrale avec laquelle Atahualpa Yupanqui jouait. Mais mon cœur
s’est ouvert à son message et a sa musique.
Ce fil, que je n’avais pas oublie, et qui n’était pas rompu,
se continue maintenant avec vous, cher Arturo Fabian. C’est la aussi ma dette
envers vous. Que je renoue un fil, non seulemet avec la tradition, avec
l’Argentine, qui m’est explique dans toutes les chansons de Atahualpa Yupanqui.
Quel est ce merveilleux mot, pour appeler la mort, « el
silencio » ?
Comment ne pas aller avec lui sur son cheval, entendre le
galop du cheval, dans ses mouvements de guitare qui appartiennent à la
tradition argentine, me faire rêver de ces espaces, grâce a « You
Tube » aussi. « You Tube » peut être un moyen fantastique.
Je vous prie de m’excuser si cette lettre envers vous, pour
vous, est longue. Prenez le temps de la lire, s’il vous plait, cher ami.
Ces derniers temps, j’ai compris comment, inconsciemment, j’étais
lié aussi quelque part avec la vie d’Atahualpa Yupanqui, avec sa recherche, avec
sa vérité, sa poursuite de la vérité. Je suis tombe sur une émission ou il
parlait de ses rapports avec la musique, et le voyage de trois mois qu’il a
effectue à Budapest pour rencontrer Kodaly, et apprendre un peu ou écouter
la musique des Tziganes de Hongrie.
Mon ami André Hajdu était un grand spécialiste de cette
musique, ethnologue, élève de Kodaly.
J’ai aussi reçu une bourse, après plusieurs voyages en
Hongrie, pour visiter les amis de mon ami André Hajdu, une bourse d’études à l’Académie
Frantz Liszt de Budapest, ou j’ai rencontré Sendrey Karper, qui est mort, décédé
depuis, parti vers le silence, vers un silence, le silence des guitaristes, et avec
d’autres professeurs pour différentes matières de la musique.
J’ai trouve que cette coïncidence n’était pas fortuite, que
j’étais encore plus proche d’Atahualpa Yupanqui, après avoir fait cette découverte.
Lui aussi, dans toutes ses recherches pour apprécier, comprendre, approfondir
la musique populaire, ce qui est mon cas aussi, étant aussi ethnomusicologue,
mais toujours a partir de la guitare. Quand j’ai commence à réfléchir sur les
mouvements, les gestes pour jouer de la guitare. Je me suis intéressé au début
de comprendre les manières de jouer la musique Flamenca. Ma première idée de thèse
fut de décrire la manière de jouer la guitare Flamenco.
La découverte de la musique iranienne et de mon professeur
Djamchid Chemirani m’a fait changer le sujet de ma thèse pour étudier le Setar,
un tout petit instrument, très intime. J’ai appris à jouer de cet instrument.
Jusqu'à présent, j’ai une grande amitié, un grand respect pour l’un de mes
professeurs de musique iranienne, avec lequel j’ai appris le zarb, qui est la
percussion iranienne.
Toutes ces parenthèses me font perdre la route et les
explications que j’aimerais vous donner sur mon chemin et les chemins qui se
rencontrent momentanément, physiquement, s’éloignent, restent, stagnent comme
un lac dans lequel, a l’intérieur, beaucoup de choses bougent, et reviennent.
Je viens de fêter mon anniversaire de soixante quinze ans,
je garde l’espoir, grâce a votre travail. J’espère pouvoir jouer, non seulement
les pièces que j’ai jouées il y a quarante ou cinquante ans, comme la
« Paloma Enamorada », mais aussi d’autres morceaux, pour continuer à
sentir et ressentir l’âme d’Atahualpa Yupanqui.
En vous écoutant, cher ami, cher maître, j’apprends énormément.
Vous avez su conserver l’esprit de cette musique, vue, jouée et enseignée par
Atahualpa Yupanqui, en y ajoutant votre personnalité qui, comme moi, vient d’un
fond classique, d’études classiques de la guitare.
Ces derniers jours, je vous ai beaucoup écouté. Je vous ai
beaucoup regardé. Je vous remercie.
Mon ami André Hajdu est décédé le premier aout deux mil
seize. Depuis deux mois, je suis triste. Malgré les difficultés que me donne ma
main gauche à cause d’un « Trigger », je continue à vouloir jouer, à
étudier ses pièces, un livre qu’il a écrit dans les années dix-neuf cent
soixante-quinze, un livre pédagogique qui s’appelle « Microcosmos pour
Guitare ». Je voulais lui faire ce cadeau avant son départ, faire un
disque de ce livre – là, de ces pièces – là, mais j’espère que mes problèmes
physiques s’arrangeront pour pouvoir enregistrer ce disque bientôt.
Merci, cher ami, Arturo Fabian.
PS : Je vous envoie les contacts, si vous venez à Paris
le douze mai pour un concert, je ne sais pas si je pourrais voyager. Mais
j’aimerais vous faire rencontrer Arnaud Dumont. J’aimerais, si vous voulez, que
vous preniez contact avec lui pour essayer qu’il vous aide, qu’il fasse
organiser par son impresario plusieurs récitals de votre musique à Paris ou en
France.
Arnaud Dumont est un ami de longue date, vous pouvez
l’entendre jouer sur « You Tube ».
D’autre part, dès que je serai moins fatigué, je prendrai
contact avec mes amis guitaristes ici en Israël. J’aimerais beaucoup, si vous
êtes d’accord (politiquement), qu’on puisse vous inviter à venir jouer, dans ce
pays. N’oubliez pas qu’Atahualpa Yupanqui a beaucoup joué en Israël, qu’il
aimait beaucoup le pays et les déserts. Si vous n’avez pas de problème, de
difficulté, avec ce qu’on appelle la « politique israélienne », si
vous êtes au – dessus de ce problème – là, s’il vous plaît, nous pourrions
aussi nous rencontrer, en Israël.
Merci encore, Arturo Fabian, au plaisir de vous écouter et
de vous voir « in vivo », à très bientôt.