Wednesday, November 09, 2016

souvenirs de ma relation avec André Hajdu 08-11-16 partie 4


André et sa femme Ruth Hajdu

Miki Erdely était déjà, comme André me l’a raconté, un personnage clef. Il m’a dit une chose étonnante il y a deux ans, après que Miki soit mort : « Roger, tu sais ce que je pense ? Miki était un génie, et Dadou un ‘Tzadik’ (Juste) ». Quand j’ai relaté cette phrase à Loulou, mon ami le cousin germain de Dadou, celui – ci a été très sceptique, il a enchaîné en me racontant les défauts de Dadou. Dans la phrase d’André, que pensait – il de cette différence entre le génie et le « Juste » ?

Miki Erdely avait une intelligence spéciale et de grands dons. Il était architecte et peintre, beaucoup d’activités artistiques, littéraires, philosophiques. Il s’intéressait aux avants gardes. Il avait fondé en Hongrie un mouvement avant-gardiste. Les dernières années de sa vie, il avait pratiqué les installations. Il était devenu l’initiateur d’un nouveau mouvement avant – garde en Hongrie, dont il était devenu l’une des têtes pensantes. J’ai aussi participé, l’été mil neuf cent soixante-neuf, l’été où j’ai conduit dans ma « Quatre Chevaux » Miki à Paris, en passant par l’Allemagne, où il devait faire un évènement – installation, auquel participait également Joseph Beus. Etant avec lui, il m’emmenait dans les activités artistiques qu’il poursuivait. J’avais des résistances à comprendre les qualités artistiques de ce nouvel art. Des résistances aussi dans le côté trop européen de cette façon de penser et de faire.

Ma nature personnelle, séfarade, allait plutôt dans une direction orientale, ainsi que mes recherches personnelles.

« Entendre les voix ».

Cette phrase, jusqu’à présent, me préoccupe, comment comprendre les fonctions de l’œil et de l’écoute sans les séparer mentalement. Comment entendre les sons, les bruits, les mots, qui entraînent les images et le sens.

« Voir la voix ». « Ecouter l’image ». L’œil écoute. Une revue française a pris comme titre « l’œil écoute », ainsi qu’une galerie de peintures.  

Pour jouer de la musique, j’aime le faire par cœur, fermer les yeux, recréer le texte, la partition dans ma tête. La vue me dérange. Une difficulté de plus que j’essaye de résoudre. Ne pas entrer dans la séparation totale entre l’écrit et l’oral, l’œil et la voix, mais maintenir l’écart et chercher la jonction. Comment sentir que tous les sens sont en relation. L’œil qui voit la partition, la main qui touche et caresse les cordes et provoque le son.

Ce que l’on voit nous perturbe, ou nous aide, ce que l’on entend nous perturbe, ou nous aide. Ambigüité du son, du signe.

Ayant fait un grand collage il y a plus de vingt ans, que j’ai appelé au début « Totalité et Infini, Hommage à Emmanuel Levinas », que j’ai renommé ensuite « A Deux Mains, A Demain », ma réflexion se portait sur le problème de comment faire voir le temps plastiquement en utilisant les mains comme sujet, sujet du « faire », sujet de la caresse, sujet du toucher. La main nous apprend beaucoup sur nous – mêmes. La dualité du geste de la main qui, jusqu’au dernier moment, vers l’autre, ne laisse pas présager la caresse ou la gifle. Cette ambigüité du signe et de l’intentionnalité.


Nous voulons comprendre, mais nous ne n’apercevons pas de l’immensité de cette tâche. 

souvenirs de ma relation avec André Hajdu 08-08-16 partie 3


André a connu ma mère et mon père. Quand il revint à Paris après son séjour d’un an comme professeur de musique à Tunis, il a cherché un appartement. La femme de mon oncle Georges, le frère aîné qui avait éduqué mon père à la mort de leurs parents, avait un appartement à louer à Montmartre. Je les ai mis en contact. Il n’a pas choisi d’habiter cet appartement. J’étais heureux, dans le cadre de cette recherche d’appartement, d’avoir pu dire « j’ai une tante qui a cela ».

Je voulais l’aider. J’avais ce rapport de vouloir lui faciliter les démarches, les recherches.

Il avait noué cette relation avec cette jeune femme, qu’il voulait poursuivre, mais qui n’a pas pu se poursuivre. C’est l’une des raisons pour lesquelles il a choisi, au lieu de devenir chercheur au CNRS, où il avait été accepté en tant que chercheur en ethnomusicologie sur la musique tzigane, il était un grand spécialiste de la musique tzigane d’Europe Centrale.

C’est à Tunis qu’il a rencontré Dadou, David Nahmias. Quand Dadou est arrivé à Paris avec sa famille, nous sommes devenus amis. J’ai été présenté et connut une grande partie de la famille de Dadou, Mamina, la mère de Dadou, Lina, une des sœurs de Dadou, qui est devenue une amie, Loulou, son cousin germain, qui voulait devenir peintre.

Je me souviens des vacances avec André dans la colonie de vacances de la Plage d’Amour, et je ressens encore cette période avec beaucoup d’émotion. J’étais entouré, sorti de l’enfance, avec des adolescents et des adolescentes de toutes les nationalités. C’était un camp de vacance international, pas seulement pour les juifs. La directrice, Tante Ida, avait eu une vie riche et pleine dans son activité de bénévole. Elle était aussi directrice d’un château appelé « Laversine » qui était situé à côté de Paris. Cette maison s’occupait d’enfants rescapés de la Shoah. André y avait enseigné et monté une chorale avec les enfants. J’y suis allé souvent avec lui en emmenant ma guitare. J’accompagnais sa chorale, avec les accords qu’il m’apprenait, pendant qu’il dirigeait le chœur. J’ai gardé encore une des partitions de l’accompagnement qu’il avait composé pour une des chansons du répertoire. La chanson « Karev Yom » (« Jour Proche »).  

Combien de mouvements, de déplacements, d’accompagnements musicaux que j’ai effectués avec lui.

Accompagnements, marcher avec lui, l’écouter, chercher à deviner la fin des phrases qu’il ne finissait pas.

A l’époque j’avais une voiture qui me facilitait les déplacements, pour aller dans les différents endroits où j’enseignais et aussi pour visiter mes amis. Mes parents, encore en Algérie, nous avaient offert une voiture que je partageais avec mon frère, une « Deux Chevaux Citroën ».

Il avait loué une chambre à Neuilly dans un appartement, qu’il partageait avec la propriétaire. Il avait dans cette chambre un piano à demi – queue, coincé entre le lit et la petite cuisine.

Miki Erdely est arrivé de Budapest. Il avait réussi à obtenir un passeport pour sortir de Hongrie. J’étais retourné habiter chez mes parents, avenue de Fontainebleau. Je connaissais Miki car j’avais déjà fait un voyage en Hongrie.

Szuszi, la femme de Miki, avait mis dans la valise, par peur que Miki ne mange pas, une cuisse de porc fumé qu’il s’empressa de mettre dans la cuisine d’André. André n’avait pas commencé son évolution religieuse.

Dès le début de notre amitié, il avait commencé à me parler de Miki, connu par sa participation à un groupe de scouts. C’est ainsi qu’il rencontra aussi Hedi Tarjan et Szuszi Szenes, qui allait devenir la femme de Miki. Ils ont eu ensemble deux enfants, Gyuri. Dans mes séjours en Hongrie, j’ai habité chez Miki. Nous sortions beaucoup ensemble, il m’emmenait dans les cafés où les intellectuels et les artistes se rencontraient habituellement. J’étais assis, silencieux, tout à l’écoute, sans comprendre au début, cette langue, le hongrois. C’est devenu une habitude ensuite, avec les amis parlant d’autres langues étrangères, comme ce grand ami Sidi Lamine Diarra, qui parlait Bambara avec ses compatriotes réfugiés à Paris. Je continue cette technique d’écoute sans comprendre avec l’hébreu. J’écoute ces langues étrangères avec mes oreilles musicales, pas avec mon intellect. Je commence par l’écoute, et peu à peu, j’essaye de comprendre, en plus de la musique de la langue, le sens de ce qui a été dit. J’ai ainsi appris, avec tous les inconvénients que cela comporte, et les absences de relation entre l’écrit et l’oral, et les confusions sémantiques que cela provoque. J’étais, là, avec lui. J’entrais dans des ambiances. J’entrais dans un monde. Ma relation avec André, je voulais l’approfondir. Lire le mot, le voir en lettres, permet un sens plus univoque, l’entendre laisse la possibilité de comprendre ce mot, non pas d’une manière équivoque, mais dans toute sa profondeur orale. Par exemple, quand j’entends « vert », j’entends aussi le « ver », le « vair », le « verre », etc…

Mon désir d’approfondir ce que j’avais ressenti avec André de la profondeur pédagogique et musicale hongroise. Emerveillé par le savoir et la puissance de ce que j’avais ressenti de la tradition musicale en Hongrie, transmise par Bela Bartók et Zoldan Kodaly, les maîtres d’André. Je trouvais cette tradition musicale authentique. Enormément de grands musiciens du dix-neuvième siècle sont hongrois, non seulement dans le domaine classique, mais dans tous les styles et genres. Budapest avait été une ville effervescente, concurrente de Vienne. La guerre a détruit beaucoup de traditions intellectuelles, artistiques.  

Ma fascination pour les amis hongrois d’André m’a forcé à partir dans son ancien pays. Je voyageais et restais deux ou trois mois. Ma profession d’enseignant me laissant assez de temps libre. C’était dans les années mil neuf cent soixante-cinq. J’avais connu André en mil neuf cent cinquante-sept, quelques années étaient passées.           

Quand je n’étais pas en Hongrie, les amis d’André m’écrivaient beaucoup. J’ai gardé la correspondance avec eux. Ils se forçaient à écrire en français. J’ai aussi fait des efforts pour apprendre le hongrois.

A mon premier voyage, j’ai rencontré le père d’André. Sa mère avait déjà réussi à sortir du pays. Ses parents étaient divorcés. André était enfant unique, éduqué par sa mère. A mon départ, son père m’a transmis une petite valise avec ses petits souliers d’enfant, des partitions qu’il avait écrites… tous ses petits souvenirs.


Mon envie d’étudier en Hongrie et de vivre plus longtemps avec Miki, Szuszi et Hedi, m’a poussé à demander une bourse d’études, que je reçus en mil neuf cent soixante-huit. 

Monday, November 07, 2016

souvenir de ma relation avec André Hajdu 08-08-16 partie 2


En mil neuf cent cinquante-sept, il avait trouvé un poste de moniteur musical à Anglet, à côté de Biarritz. Il s’appelait le « Camp de Vacances de la Plage d’Amour ».

Anglet se situe entre Bayonne et Biarritz. C’est un petit village sur une colline. Il y a une petite route qui va vers Bayonne, qui longe l’Océan Atlantique. Le camp se situait au début d’un cap. Nous traversions la route et nous descendions sur des chemins glissants vers la plage, « la Plage de la Chambre d’Amour ». Le nom avait été donné en souvenir d’un couple d’amants qui étaient allés chercher une intimité dans une grotte, assez loin dans le cap. Ces amants, déjà dans un autre temps, n’ont pas senti venir la marée, et ont été noyés. Je trouve cette histoire très belle. C’est un très beau nom. Je me souviens avec émotion des deux étés passés dans cette colonie de vacances.  



Il devait assumer le rôle de moniteur musical dans cette colonie de vacances, dont la directrice était Tante Ida, une rescapée de la Shoah. Sa vie avait été consacrée à sauver des enfants juifs pendant la guerre et à s’occuper d’eux en France, aussi pendant l’année dans le château de la Versine, et l’été dans la colonie de vacances.

André avait rencontré une jeune femme hollandaise dans ce camp. Elle y était venue parce que sa mère aussi avait sauvé des enfants juifs à Amsterdam et était en relation avec Tante Ida.

André en est tombé amoureux, voulait se marier avec elle, rentrer à Paris après quelque temps. Il m’a demandé de l’accompagner à Amsterdam dans ma petite « Deux Chevaux ». Je ne me souviens pas très bien du séjour à Amsterdam.

F. est venue à Paris, et dans cette rencontre, a signifié à André qu’elle ne voulait pas d’enfant et que leur relation ne pouvait se réaliser comme André l’avait espéré.

J’étais retourné en Algérie en mil neuf cent cinquante-huit, sur les conseils d’André, pour finir mes études secondaires.

André m’avait invité une deuxième fois à partager ses vacances à Anglet. Mes parents m’avaient donné la permission d’aller le rejoindre pour passer trois mois avec lui. Son travail de moniteur musical consistait à organiser des petits concerts. J’avais commencé à apprendre la guitare à Oran. André m’invita à y participer. C’est ainsi que je commençai à avoir mes tracs musicaux.


Quelqu’un de ma famille habitait Anglet, il jouait du violon. Il avait fait sa carrière musicale dans l’armée française et était venu prendre sa retraite dans le Pays Basque. Nous avons été le visiter. André a pu jouer avec lui des sonates pour violon et piano.