Tuesday, April 25, 2017

Expo Hedi


Microcosmos 02-04-17 1/3

Après avoir enseigné pendant longtemps, en particulier le livre
« Microcosmos pour Guitare », j'ai réfléchi, ces dernières années, sur la manière de se comporter dans une relation où il s'agit de transmettre un savoir, et d'approfondir cette relation avec une personne désireuse d'apprendre la musique avec la guitare comme instrument.
J'ai commencé la guitare très jeune, vers l'âge de 12ans, après avoir d'abord appris le violon.

Au décès de mon professeur de violon, j'ai attendu plusieurs années pour apprendre les bases de la guitare avec mon premier professeur.
En 1956, j'ai continué à Strasbourg avec le professeur Fernandez Lavie.
En 1958, j'ai étudié à Paris avec le professeur Roche à l'école Paul Beuscher, boulevard Beaumarchais.
En 1959, je me suis inscrit à la « Schola Cantorum » où mes professeurs étaient Ida Presti et Alexandre Lagoya.

Comment transmettre simplement, avec amour, sans violence mon expérience ?
Comment être prêt à s'ouvrir au maximum à l'autre ? S'ouvrir et ouvrir celui qui veut apprendre, en lui donnant tous les moyens pour réaliser son désir d'apprendre et de jouer. L'aider avec le maximum de mes connaissances.
En me remémorant mes années d'enseignement, je suis à présent en mesure de voir mes défauts et parfois la violence que j'ai déployé durant mon apprentissage. Cette violence à laquelle nous sommes confrontés dans la vie et dans l'éducation.
Comment aborder un élève qui vient vers vous, rempli de ses fantasmes, fantasmes continuellement alimentés par les médias ou les idées culturelles qui circulent et construisent des clichés.
Comment l'aider à nettoyer ces clichés qui lui permettront de commencer à comprendre et à sentir à partir de lui-même ?
Comment lui faire sentir qu'il s'agit simplement d'ouvrir ses yeux et ses oreilles ?

Se concentrer non seulement sur la relation maître-élève mais, sur aussi sur le son qui sort de sa guitare et le "comment faire" pour que ce son sorte de l'instrument.

J'ai donc décidé, dans les années 1960, pendant mes études d'ethnomusicologie, d'enseigner sans passer par l'écriture.
Mon système était dit audio-visuel.
Peu à peu, j'amenais les notions de l'écriture comme une maman apprend le langage à son enfant.
Écouter et voir. Être là où on est, et se concentrer.
Je voulais transmettre d'une manière active et non passive.
La manière passive d'enseigner étant de mettre une partition sur le pupitre et de dire à l'élève de la suivre à la lettre.
La manière active, elle, est d'être devant le néophyte et de jouer jusqu'à ce qu'il mémorise la musique.
Tout cela, se faisant bien entendu, sans relation de puissance mais dans la douceur et une envie profonde d'aider la personne, sans autoritarisme et sans
violence mais avec de la patience.
Une présence silencieuse, sans beaucoup d'explications, peut permettre une meilleure concentration. Chercher la simplicité pour ne pas crisper ou faire peur à l'élève.
Je décidais d'adopter la manière orientale, apprise de mes professeurs d'ethnomusicologie. La tradition orientale utilise le terme "poitrine contre poitrine" dans son enseignement. La poitrine contient le cœur donc apprendre par cœur.
Ce face à face où celui qui joue, donne et attend la réponse de son vis à vis, pour savoir si la phrase est redite correctement et pouvoir éventuellement la corriger avec douceur et patience.
Je rencontre, encore aujourd'hui, des personnes qui ont appris avec moi, il y a longtemps, et qui me dise se souvenir parfaitement de ce que je leur ai transmis.

Celui qui donne, doit avoir beaucoup de doigté et de sensibilité, pour ouvrir la mémoire et la concentration.
Entendre, voir, faire et refaire, prendre et reprendre, jouer à nouveau jusqu'à mémoriser la première phrase ou le premier ensemble de notes.
J'ai réussi à faire mémoriser des pages entières de musique telles que les suites de J.S. Bach sans l'aide d'une partition.
Par contre, je leur demandais d'écrire la partition d'après leur mémoire et de la confronter au texte.
Cette manière de faire ressemble à l'apprentissage normal de la langue. On apprend d'abord à parler, ensuite à lire et à former des phrases à l'aide de la grammaire. Je l'ai employé pour transmettre la musique.
L'enseignement doit rester vivant et non systématique. Penser la ligne droite ou la manière scientifique de conduire une expérience ne sont pas les meilleurs moyens pour arriver à jouer de la musique.

Il faut prendre en compte que les chemins détournés sont plus efficaces quand il s'agit de former un artiste. Choisir entre le sentier et l'autoroute.
Faire un mouvement artistique n'est pas faire un mouvement d'une manière automatique. Les techniques que l'on emploie pour robotiser les mouvements ne sont valables ni pour former un "virtuose", ni un artiste.
Le mot « virtuose » sous-entend que l'on peut jouer vite, beaucoup de notes et penser que l'on est libre. Pour moi, la véritable liberté ne réside pas dans ce mot, mais dans l'aisance, l'élégance que l'artiste doit acquérir pour que son corps ne le gêne pas dans sa créativité.
Je considère que pour faire de l'art, il faut réfléchir sur le sens des mots, leur étymologie. Par exemple qu'est-ce que la technique ou le style, etc…
Pour dévoiler un artiste ou plus simplement un amateur de musique, il faut que le transmetteur fasse découvrir le mystère qu'est la musique par l'émerveillement et l'étonnement.

Cela donne la possibilité de provoquer la fraîcheur dans les gestes et les sens et ne pas penser que nous répétons, mais penser au mot "reprise". Ainsi apparaîtra une lumière nouvelle qui nous évitera de tomber dans l'ennui de la répétition ou du quotidien.
Demander aux amateurs de prendre attention. De faire attention à la relation avec leur instrument, connaître l'instrument dans le plein sens du mot "connaître" qui est "naître avec".
Apprendre à le caresser et adapter son corps à cette forme.
Apprendre à le faire sonner de toutes les manières possibles, comme un enfant avec un nouveau jouet dont il va essayer de comprendre le fonctionnement.
Se souvenir de cet état d'enfance où la tête, les sentiments, les sensations n'étaient pas encombrés. Chercher simplement à jouer comme un enfant, avec la fraîcheur de l'enfance.
Pour créer une relation profonde avec quelqu'un qui vient vous voir et croit en vous, il faut lui offrir quelque chose qui soit toujours frais, non idéologique ou dogmatique (comme lui donner une partition et le laisser se débrouiller seul).

André Hadju, le compositeur du livre « Microcosmos pour Guitare », a écrit des livres pour piano, avec comme titre "La Voie Lactée". Ainsi dans ce titre, il nous a ouvert déjà l'esprit de sa musique.
C'est de lui que je tiens mes idées pédagogiques.
Il cherchait la vie en croyant que la musique est la vie.

M'ayant invité dans sa classe, alors qu'il enseignait la « Symphonie Héroïque » de Beethoven, il s'est aperçu que les élèves s'ennuyaient de son discours. Il a alors arrêté son cours.
Il a fait pousser les chaises et les tables contre les murs et leur a demandé de danser sur cette symphonie. Il s'est lui-même mis à danser.
Il aimait vraiment enseigner. Malgré sa position de recteur à l'université de « Bar
Ilan », il avait une préférence pour l'enseignement des plus jeunes.
Il cherchait à faire comprendre particulièrement à ces jeunes, que la vie de la musique est la vie tout court.

Il me racontait comment il est important de ne pas tuer l'enfant qui est en soi.
De le garder en vie pour ne pas le momifier, car c'est cette vie qui donne les énergies créatrices.
Un enfant a toutes les possibilités en lui, mais la vie lui demandera de faire des choix. Alors comment conserver ces possibilités et ces rêves que les enfants fantasment pour devenir ceci ou cela.

Après l'expérience de faire danser les élèves sur la « Symphonie Héroïque », la mélodie a circulé de bouche en bouche, dans l'école.
Une des élèves était venue lui expliquer que sa génération ne pouvait pas rester assise longtemps. Ayant compris cela, André enseignait et faisait vivre la musique par les mouvements.

Ces manières d'enseigner ont changé très rapidement dans son parcours de pédagogue, car les élèves qui ont appris avec lui ont découvert cette liberté, dont j'ai parlé dans un paragraphe précédent.
André, jusqu'à son départ, a enseigné, même malade et contraint de rester chez lui. Une jeune personne se rendait à son domicile pour apprendre à devenir compositeur.

Choqué par la maladie d'André, j'avais formé le projet d'enregistrer un disque et de faire un blog pédagogique que je diffuserai sur internet.
Le disque me tenait encore plus à cœur, car j'aurai voulu qu'il puisse l'entendre.
J'ai beaucoup réfléchi sur le rapport entretenu avec un instrument de musique, en particulier et les rapports avec les choses.
André aussi m'a enseigné la non-violence.

Comment comprendre et sentir la violence en nous et dans les autres, la
violence dans le langage et le comportement ?
Comment un instrument telle que la guitare peut nous aider si on écoute le son, si on écoute réellement ce qu'on fait, ce qu'on joue ? Le son reflète la manière et la profondeur de notre jeu.

Avoir un rapport harmonieux avec son instrument, c'est apprendre à le tenir et à écouter comment il raisonne.
Éviter un cadre rigide autour de l'élève. L'aider à se découvrir !
C'est une voie beaucoup plus riche et inventive.




Monday, April 24, 2017

Elyahou 27-03-17 récit intégral

Il a été élevé par son frère aîné qui à la mort des parents a loué une maison pour réunir la fratrie. Ils étaient 3 frères et une sœur.
La sœur, pour ne pas rester seule avec des garçons est partie chez une tante.
C'est donc mon oncle, Georges, qui a éduqué de mon père. Il était comptable.
Ma grand-mère, devenant vieille, partageait son temps entre vivre chez ma tante à Eintemouchen et chez ma mère à Oran. Chez moi, elle avait sa chambre qu'elle partageait avec ma sœur.
C'était ma seule grand-mère. Elle avait des problèmes de santé, parlait peu, mais elle était là, et ça faisait une présence.
Beaucoup plus tard, ce sera grâce à Tali, que j'arrive maintenant à regarder des photos de ma famille. Je n'arrivais pas à les regarder en face, je détournais la tête.

Toute interprétation est fausse. Comme les souvenirs. Vous avez un rêve vous voulez l'écrire et à partir du moment où on prend la plume, le rêve se transforme.
Il faut des années de discours et de rapports avec un analyste neutre, pour permettre de distiller le poison qui se trouve dans l'inconscient des souvenirs. On peut parfois prendre des fausses pistes qui peuvent mener à la folie.
Le travail analytique a au moins la vertu de faire couler la parole qui permet de nettoyer le poison du souvenir, du mauvais souvenir, qui conduira à une autre vision, sans amertume.

David Z. a vécu en Israël. Très intelligent, il séduisait les gens et cherchait à être un "gourou". J'avais peur de lui, car je sentais chez lui, une grande volonté de puissance. Je souffrais pour Guy-Elyahou que je sentais trop sous influence.
Ils se sont fâchés après 40 ou 50 ans de relations.
David Z. voulait créer une école itinérante en Israël.
Juste avant de quitter la France pour faire mon Alya, je ne savais pas où j'allais atterrir, nos chemins se sont croisés et nous avons repris contact. Il m'a alors parlé de son école, me demandant si ça m'intéressait de venir y enseigner.
J'ai accepté et ce fut, avec d'autres raisons telles qu’Edmond Jabès, la présence d’André et de ma sœur à Jérusalem, l'élan pour venir en Israël.
Malheureusement, cette école n'a jamais vu le jour. David Z. étant le genre de personne incapable de faire aboutir un projet. Cette incapacité étant une sorte de maladie.
Son comportement avec les gens qu'il voulait faire participer à son projet, n'était pas exempt d'intérêt. Je trouvais sa manière de faire pas très morale et manquant d’éthique.
Je suis arrivé en Israël sans lui car il était tombé malade, mais j'avais naturellement dans la tête les idées de son projet.
C'est ainsi que j'ai recontacté Guy-Eliahou qui avait déjà loué une villa avec un jardin dans le bas de Guilo.
J'ai dû abandonner au bout d'un an, car le projet de David n'avançait pas et j'avais besoin de travailler.
Guy-Eliahou adore la musique. C'est une personne avec beaucoup d'écoute et qui sait écouter la musique. Dans sa villa de Guilo, il invitait beaucoup de musiciens, j'ai souvent joué chez lui.
Il a récemment vécu un drame familial. Il a 3 garçons. L'aîné est professeur d'université à Lyon et enseigne les langues araméennes et les langues anciennes. Le 2ème venu jeune en Israël a fait carrière dans l'armée.
Il a été tué par un sniper, il y a quelques années, dans un attentat à Eilat.
Et son dernier fils vit, ici, à Jérusalem.

Guy-Eliahou Abrahami, avec sa femme Nicole sont les personnes, à part ma famille, qui me connaissent depuis le plus longtemps.
Les chemins ont été très longs pour se rapprocher, je n'arrivais pas à comprendre et admirer le monde dans lequel il vivait.
Nous avons souvent eu des discussions sur des sujets tels que : avoir une patrie, qu'est-ce que le sol ou ses racines, comment faire pour changer de langue et apprendre celle du pays ?
Je l'admire pour sa persévérance à vouloir parler la langue du pays. Cela lui a permis de rencontrer beaucoup de gens et de pouvoir s'exprimer.
Pour ma part, mes difficultés avec les langues viennent du sentiment de ne pas suffisamment bien parler ma langue maternelle et de me sentir étranger quand j'essaie de parler une autre langue.

Comment est-on rattaché au sol ? Sommes-nous des arbres ou des hommes ? Les arbres ne marchent pas ou alors très lentement.
L'homme, lui, marche, erre, et s'exile.
Les nomades et les tziganes ont choisi ce mode de vie.
Nous, juifs, n'avons pas choisi d'être en exil.
Mon désir d'habiter en Israël n'a pas été politique mais penchait plutôt sur une recherche métaphysique ou religieuse.
Depuis l'enfance, en Algérie, je n'avais déjà pas de rapport avec le sol ou la patrie.
Le sable brûlant de la plage du Cap Falcon, les pieds qui s'enfoncent dans ce sable mouillé par les vagues, mon dos brûlé par le soleil sont le souvenir des moments et de mes attaches à cette terre d'Algérie où je suis né.

Quand je lis l'œuvre d'Albert Camus, je me retrouve dans ces récits.
J'ai été heureux de quitter jeune l'Algérie.
Je n'aimais pas la bourgeoisie algérienne qui composait la majorité de la
ville d'Oran. Le centre-ville était français, les périphéries espagnoles ou arabes.
Nous habitions dans le centre et ma mère, à cette époque a beaucoup répété "nous sommes français avant d'être juifs".
Je n'ai jamais compris cette phrase. Suis-je venu ici pour me sentir juif ?
Je n'ai pas encore résolu ce problème, pensant la majeure partie de mon temps en français.
Je sais que les langues étrangères ouvrent des horizons différents.
Venir en Israël a pu sembler une recherche de clarté, regarder le ciel bleu, sortir de la grisaille parisienne. Ce soleil m'a vraiment beaucoup aidé à renaître.
J'ai vécu près de 30 ans dans un Paris gris, où j'avais oublié ce qu’était-le soleil, ne prenant jamais de vacances et n'ayant aucune envie de rechercher mes racines en repartant sur les traces de mon enfance.
Ce coin d'enfance qui s'appelle le Cap Falcon, à 40 km d'Oran, est toujours mon lieu. Le lieu de ma solitude, sur la plage, dans l'eau.
Nous avions 4 mois de vacances scolaires, mes parents louaient une villa où nous passions les étés.
Nicole, la jeune fille qui allait devenir la femme d’Eliahou, habitait le même immeuble que nous. Malgré mon étrangeté et mon rapport difficile à la société, j'aimais beaucoup Eliahou pour son hospitalité et sa vitalité.
Il avait le génie de savoir réunir les gens.
La vie des jeunes gens en Algérie ne m'intéressait pas.
Leur manière de se promener dans la grande rue pour voir et être vu des jeune filles, me semblait légère et superficielle.
Nous n'étions pas encore dans l'intensité de la guerre.

Avec le temps, j'ai appris à apprécier les qualités humaines de Guy-
Eliahou.
Nicole, son épouse, est très attachée aux traditions et aux coutumes culinaires de sa famille. Avec une patience extraordinaire, elle cuisine les plats qui font survivre les goûts et les senteurs d'antan.
Mon père tenait un commerce de lingerie féminine. Avant de se marier, il était comptable et heureux de son métier.
Quand ma mère et mon père ont décidé de s'unir, elle lui a demandé d'ouvrir un commerce où ils ont travaillé ensemble, a mère venant d'une famille de commerçant.

Malgré mon amour pour mon père et mes différends avec ma mère, je n'aimais pas la vie qu'ils m'imposaient.
J'avais quelques amis qui vivaient différemment. Je pense qu'un peu de ma culture vient de ces amis.
Dans l'appartement de mes parents, il y avait très peu de livres et de magasines. Mon père achetait uniquement le journal et lisait des romans policiers.
Ils ne parlaient jamais d'argent devant nous, ce qui m'a permis jusqu’à présent, de ne pas savoir ce qu'est l'argent. Ils ne m'ont jamais dit que je leur avais coûté cher.
En retrouvant une lettre, que mon père avait écrit à la directrice d'une clinique privée où j'ai dû séjourner, j'ai compris que les soins que l'on m'avait prodigués avaient coûté très chers.
J'étais connu pour être un enfant terrible, et c'est cette situation qui les a contraints à me faire entrer dans cette clinique.
Mon père avait son magasin dans la grande rue, il avait compris que quand les voitures et les gens s'arrêtaient, je commençais à déployer ma folie.

Je n'avais pas la peur de la mort, ce qui me permettait de vivre et faire des choses incroyables.
Je me suspendais au-dessus de 4 étages, en tenant la barre fragile qui servait à dérouler la bâche qui protégeait du soleil.
Je m'imaginais être un acrobate ou Tarzan. Mon rêve aurait été de vivre dans un cirque.
Je courais sur les toits sautant de maison en maison
Mes parents impuissants à me retenir, m'ont envoyé dans des internats où je souffrais énormément de l'enfermement et la promiscuité.
A l'âge de 14 ans, ils m'ont emmené chez un psychiatre qui m'a infligé des soins et des traitements lourds et violents. De ceux qui peuvent détruire irrémédiablement un enfant.

A partir de 15 ans, j'étais déjà en dehors de la famille.
Je suis parti à Strasbourg en 1956. Après quelques temps, j'ai dû être hospitalisé 3 mois, après l'opération d'une péritonite gangrenée.
Après cela ni l'école ni l'internat ne voulait me garder. Je suis donc parti à
Paris.
J'ai habité une chambre seul et je faisais des études dans une école juive : l'Organisation de Reconstruction par le Travail pour devenir électronicien.
J'ai été assez rapidement renvoyé de cette école.
C'est là que peut être ma vraie vie musicale a commencé. Je faisais des petits boulots pour me permettre de ne pas être dépendant financièrement de mes parents.
Ma rencontre avec André m'a sauvé. Elle a permis d'affirmer et de consolider mon aspiration à vouloir devenir musicien.
Notre première rencontre a eu lieu dans la maison d'étudiants, rue Guy
Patin où il habitait. Mon frère y logeait aussi.
Étant très seul, j'allais assez souvent visiter mon frère.

Un jour, en traînant dans cette maison, j'ai entendu des notes de piano, elles venaient du sous-sol. Je suis descendu et me suis assis à côté de la porte. C'était André qui jouait du Chopin.
Il a senti ma présence, a ouvert la porte et m'a invité á entrer.
Notre rencontre fut sous le signe de de la musique
André est ainsi devenu le personnage central de ma vie.
Mes autres connaissances me semblaient alors plus légères, comparées à la profondeur de ma relation avec André.
A la fin de l'année 1958, j'ai quitté définitivement l'Algérie où j'étais retourné, sur les conseils d'André, finir mes études scolaires.
Après quelques mois, j'ai réussi à repartir en France, par mes propres moyens. J'étais de retour à Paris.
Je me suis inscrit à la Scola Canturum. C'est là que j'ai rencontré mes professeurs, Alexandre Lagoya et Ida Presti.


André me soutenait beaucoup. Il venait d'arriver de Hongrie après la révolution de 1956. Il a réussi à se sauver avec tout un afflux de réfugiés.
Il a rencontré sa femme en Israël et s'est marié sur le tard. Ce qui ne l'a pas empêché d'avoir 7 enfants.
Sa femme originaire d'Alsace et catholique, était en quête spirituelle.
Elle a rencontré des Sefardi qui l'ont fait entrer dans le monde juif. Cela lui a beaucoup plu et l'a incité à se convertir au judaïsme et cela bien avant son mariage et sa rencontre avec André.
André et Ruth formaient un très beau couple. Elle était suffisamment ouverte pour l'accepter autant en tant que religieux qu'artiste.
Il a écrit des petits poèmes en rimes où il parle de son épouse.
André était le contraire d'un dogmatique ce qui faisait de lui un excellent professeur. Il révélait. C'était une espèce de Socrate musical.

Il n'imposait pas de méthode. Il tentait de révéler l'élève à lui-même à travers la musique.
André est devenu religieux en arrivant en Israël. Les juifs hongrois avaient peur de dire qu'ils étaient juifs
A son arrivée ici, lors d'une réunion d'intégration, une assistante sociale a proposé une chambre dans une maison d'étudiants juifs. André s'est levé et a dit que ça intéressait un ami à lui.
Elle lui a alors suggéré de venir la voir. Là il a avoué que c'était pour lui mais qu'il avait honte de le dire parce qu'il était hongrois. Elle l'avait bien compris.
Dans cette maison il a commencé à découvrir ce qu'était la vie juive.
Ce n'était pas une Yechiva. Seulement une maison d'étudiants auxquels les juifs avaient le droit. La religion n'était pas imposée. Il y avait des juifs provenant de partout qu'André a pu côtoyer.
Les chambres étaient doubles (2 lits 2 bureaux). Au début il est tombé avec un américain qui lui aussi venait de parents conservateurs mais qui commençait à pratiquer. André qui était un intellectuel a commencé à s'intéresser à la religion et à l'étude du Talmud.
Ce garçon qui est devenu son ami s'appelait Burt K. Il était originaire de
New York. Il étudiait à l'école du cinéma, l'IDEC.
André a, par la suite, composé des musiques de films pour lui.
Ils ont commencé, à cette époque, à nouer une amitié.
Quand Burt a fini ses études, ils ont eu un film à faire. Ils sont donc partis à Rome en tant que réalisateur pour l'un et compositeur pour l'autre.
Burt ne travaillait pas le Chabbat ce qui créait des tensions avec la production. Pour ceux qui paient chaque minute est précieuse.
André était tellement étonné que quelqu'un puisse avoir cette force morale de croyance.
Après ces 2 mois passés ensemble (le tournage s'est déroulé en Grèce et le montage du film à Rome), je suis allé les rejoindre en stop pour quelques jours.
A son retour à Paris, André a continué à étudier la Guemara. Il a tenté de m'emmener à ces cours. Je n'ai pas tenu plus de 3 fois, à cause du problème de langue. André, lui, parlait 9 langues y compris le tzigane que l'on parle en Hongrie.
Je me souviens du nom du Rav qui était un homme extraordinaire : Rav
Weistein. J'étais aussi avec Dadou, juif tunisien, qui n'a pas supporté.
André a rencontré Dadou quand il finissait ses études au Conservatoire
National de Paris. Il avait trouvé un poste de professeur à Tunis. Un de ses amis de la maison des étudiants lui a donné des adresses à Tunis et c'est là qu'il a rencontré Dadou. Il est décédé il y a 3 ans.
Il était aussi devenu un très grand ami à moi.
André a découvert en Tunisie ce judaïsme séfardi qui est quand même détaché de l'étude mais qui tient par les mères et les coutumes.
André se disait comme un nuage. Il pouvait rentrer dans un trou et prendre la forme du trou.
Il était aussi à l'aise avec les religieux, qu'avec les gens de la synagogue ou les compositeurs. Il a su recréer ça ici. On ne voyait pas chez lui de sectarisme.
C'est à son retour à Paris que nous avons habité ensemble, rue des
Poissonnières, et qu'il a écrit son livre « Microcosmos pour Guitare », sorti dans les années 78.
L'appartement que nous habitions était extrêmement vétuste. C'est nous qui avons fait les travaux de rénovation. A l'époque, je faisais toutes sortes de petits travaux pour gagner de l'argent.
Nous étions tous les deux musicologues et nous fréquentions une université, où toutes les semaines, il y avait un colloque ou un séminaire où les musicologues venaient parler de leurs recherches. Un israélien est venu et a rencontré André. Il a pu lui obtenir une bourse pour venir en
Israël.
Comme il le dit dans ses poèmes, André n'aimait pas Paris.
"Paris est une ville si dure
Elle m'a rouvert la blessure qui suppure
Elle n'en a cure"

En arrivant en Israël, il a eu un grand choc. Il était déjà un peu religieux. Il a commencé à enseigner et il n'est jamais reparti.
Il a reconstruit son cercle d'amis. Des gens lui ont parlé de Ruth.
Ils se sont rencontrés plusieurs fois. Lui, devait faire ses « milouimes » (période de service obligatoire dans l’armée en tant que réserviste) et il souffrait tellement de cette séparation, qu'il a voulu se marier avec elle.
Par sa rencontre avec Ruth, il a vraiment ressenti le besoin de s'ancrer quelque part, d'avoir un pays. Même si il n'était pas spécialement sioniste.
Ruth était une femme admirable qui s'est consacré à ses enfants et à
André qui était aussi comme un enfant.
J'aurai du moi aussi faire ces « milouimes » mais ils m'ont relâché au bout de 3 mois de tergiversations. Comme pour l'armée en France où j'ai dû jouer serré. Simulant la folie, faisant des choses délirantes (ne pas dormir, boire du café à la cuillère, faire pipi au lit, me mordre la langue), tout ce qui dérangeait mais sans violence, sans opposition intellectuelle, jusqu'à ce que j'arrive à être envoyé à l'infirmerie et réformé.
Je ne supporte aucune forme de discipline. Et surtout pas celle de l'armée qui transforme tellement les gens.
Grâce à ça, j'ai gagné plusieurs années. Je ne m'imaginais pas en Algérie, tuer ou être en conflit avec des arabes que je neconnaissais pas.
Le fait de donner la nationalité française aux juifs et pas aux arabes a été une forme d'oppression coloniale qui a empêché les arabes d'évoluer. Et qui a créer leur ressentiment.

Oran était une ville multiraciale et dès que les juifs ont eu le passeport français, ils ont eu des situations professionnelles, se sont embourgeoisés comme les français après la guerre.
C'est pour cela que mon père, comptable, est devenu commerçant. Par amour pour ma mère.
Dans le commerce, il fallait faire des simagrées pour vendre. Ma mère était peu là, et vendre de la lingerie à une femme c'est compliqué pour un homme. Il était perdu dans ce magasin. Il n'avait choisi ce métier que pour faire plaisir à sa femme.
Pour lui, être comptable c'était une liberté, avec des horaires de bureau qui lui laissaient du temps libre. Le commerce c'était l'esclavage, il n'avait plus de vie.

Nous, les enfants n'avons pas eu d'enfance. On les attendait très tard pour manger, on mourrait de faim. On vivait dans la sous pente du magasin.
Ce magasin pour moi était un peu comme un théâtre, une caverne d'Ali baba, les salons d'essayages avec les rideaux.
Je n'aimais pas la manière de penser des gens d'Algérie. Il n'y avait pas d'exemple, on ne faisait pas les Fêtes. Mon père pour faire plaisir à ma mère, faisait Kippour. Il profitait de ce jour de congé pour lire des romans policiers.
Mon frère est devenu religieux après sa barmitsva. Aujourd'hui toute sa famille est religieuse. Ma sœur a été un peu religieuse par rapport à son mari qui le lui avait demandé.
Moi, j'ai détesté aller à la synagogue. Je ne comprenais rien. On ne m'expliquait rien. Je considérais tout ça comme des rituels. Une bonne nourriture, mais qui, si elle n'est ni expliquée, ni enracinée, est juste de la nourriture sans plus.
Derrière cette culture de la bouffe, il y a une recherche de racines, d'exotisme ou de dépaysement.

Ma tante était une grande cuisinière. Ma mère non. Elle, elle aimait parler, avait une volonté de puissance. Le matin, elle dirigeait toute la famille. Elle organisait la vie des autres. Sa sœur aînée, ma tante, était très influencée par elle. En passant tout son temps au téléphone, elle influençait beaucoup de gens.
L'après-midi, elle descendait travailler avec mon père. Nous, les enfants étions ballotés et souvent seuls quand on rentrait à la maison.
Heureusement, il y avait Alice, une dame que j'aimais beaucoup, réfugiée d'Espagne, qui était très affectueuse. C'est elle qui s'occupait de nous quand on rentrait à la maison. Elle nous faisait goûter, et restait avec nous jusqu'à 7h.
Ma mère était absente à cause, peut-être, de sa structure psychique.
Je ne dirai pas qu'elle a été une mauvaise mère. Non. Enfin, en tous les cas, je ne l'ai pas ressenti ainsi.
Quand on a une mère absente, le bébé devient absent à son tour.
Ils ont aussi été dépassés par l'enfant que j'étais.

Je faisais des choses dangereuses pour ma propre vie.
Mes parents ont quitté l'Algérie à la fin de la guerre. Ma mère a été agressée. Elle a eu une fracture du crâne qui l'a contraint à rester à l'hôpital quelques mois.
Après son agression, elle a gardé des séquelles, ne voyant plus que d'un seul côté.
Comme beaucoup de gens, ils sont restés en Algérie, après l'indépendance pour disaient-ils "liquider les biens".
Été 56, ma dernière année en Algérie, je l'ai passé en clinique psychiatrique. Quand je suis revenu à Oran, mes parents ont décidé de me mettre en pension à Strasbourg.
Après Strasbourg et ma péritonite aiguë, je suis parti pour Paris où j'ai rencontré André.
En 58, André m'a conseillé de rentrer en Algérie, terminer mes études.
À partir de là, j'ai toute une correspondance avec André.
Bien que brillant dans mes études, en classe de 3ème, dans une école privée, je n'ai pas fini mon cursus. Je ne supportais plus.
Je ne supportais plus de rester avec mes parents. J'ai donc décidé de repartir pour Paris.
Mon voisin, Daniel Benguigui, dont le père était médecin, avait une femme un peu bizarre. Quand ils se disputaient, elle déchirait les billets de banque.
Ils avaient, comme nous, tout un pallier, d'un côté son cabinet et de l'autre son logement.
Avec Daniel, nous avions une petite pièce, où nous avons passé une nuit entière à recoller des billets pour pouvoir payer mon billet de bateau qui me ramènerait en France.
André m'avait envoyé de l'argent pour prendre le train de Marseille à
Paris. C'est comme ça, que je suis revenue en France en 59.
Je suis resté un peu clandestin en attendant de trouver une chambre. J'ai donc habité seul très jeune.

Mes parents étaient dépassés, je ne leur ai pas demandé leur avis, ils n'avaient pas de prise sur moi. J'avais une grande volonté.
J'étais déjà dans un autre monde. Je savais ce que je voulais faire et mettais tout en œuvre pour réaliser mes rêves.
C'est pour cela que j'ai autant de reconnaissance envers André.
Il y a eu, entre nous, une affection, beaucoup de choses que je n'ai trouvées chez personne d'autre, ni mon frère, ni ma famille.
Mon grand problème, est que j'ai voulu, pendant des années, couper complètement toute relation avec ma famille. Je ne pense pas que ce soit possible. La coupure doit se faire de l'intérieur. Ce n'est pas parce qu'on coupe que les problèmes ne continuent pas à courir.
C'est pour cela, que tout le travail de réévaluation de mes souvenirs, de mes interprétations d'enfance, de mon rapport filial, ont été nécessaires pour que je comprenne finalement que des trois enfants que ma mère a eu, c'est moi qu'elle aimait. Et c'est parce qu'elle m'aimait, qu'il y avait tous ces conflits entre nous.
Mes revendications d'existence, c'était pour combler un vide. Ce même
vide que ma mère a eu parce qu'elle n'a pas connu son père.
Ma grand-mère maternelle était mariée, elle a eu ma tante, puis est arrivée la guerre de 14. Son mari est parti, et il est décédé à Verdun. Ma grand-mère était alors enceinte de ma mère.
Mon grand-père, avant la guerre, était usurier, il prêtait de l'argent. Ma grand-mère a retrouvé une boite, pleine de toutes les reconnaissances de dettes. Elle a tout déchiré et n'a jamais rien réclamé.
Elle a commencé un travail de dentelière pour faire vivre ses enfants. Elle elle était très douée.
Plus tard, comme elle avait de la famille en France, elle est venue s'y installer et a ouvert une boutique de dentelle à Paris.
Elle ne s'est jamais remariée, ce qui a laissé un grand vide tant pour elle que pour ma mère. Après quelques années, elle est retournée en Algérie.
Mon père aussi a était orphelin très jeune, vers l'âge de 14 ans.

Il a été élevé par son frère aîné qui à la mort des parents a loué une maison pour réunir la fratrie. Ils étaient 3 frères et une sœur.
La sœur, pour ne pas rester seule avec des garçons est partie chez une tante.
C'est donc mon oncle, Georges, qui a éduqué de mon père. Il était comptable.
Ma grand-mère, devenant vieille, partageait son temps entre vivre chez ma tante à Eintemouchen et chez ma mère à Oran. Chez moi, elle avait sa chambre qu'elle partageait avec ma sœur.
C'était ma seule grand-mère. Elle avait des problèmes de santé, parlait peu, mais elle était là, et ça faisait une présence.
Beaucoup plus tard, ce sera grâce à Tali, que j'arrive maintenant à regarder des photos de ma famille. Je n'arrivais pas à les regarder en face, je détournais la tête.
Toute interprétation est fausse. Comme les souvenirs. Vous avez un rêve vous voulez l'écrire et à partir du moment où on prend la plume, le rêve se transforme.
Il faut des années de discours et de rapports avec un analyste neutre, pour permettre de distiller le poison qui se trouve dans l'inconscient des souvenirs. On peut parfois prendre des fausses pistes qui peuvent mener à la folie.

Le travail analytique a au moins la vertu de faire couler la parole qui permet de nettoyer le poison du souvenir, du mauvais souvenir, qui conduira à une autre vision, sans amertume.