Wednesday, December 14, 2016

correspondance avec André lettre 1


souvenirs de ma relation avec André 31-08-2016 partie 3

Ruth m’avait raconté leur rencontre. Après un an environ, étant venue plusieurs fois en Israël pour rencontrer André, il faisait alors sa période militaire, et souffrait beaucoup de cet état. Il dit à Ruth : « Nous allons nous marier, car je suis un homme qui est dans les airs, et je sens que j’ai besoin d’un parachute pour atterrir ». Ruth était le « parachute ». Ruth avait un comportement merveilleux avec André, sur tous les niveaux, et les difficultés venant du comportement d’André. Il était « dans les airs », et il « n’arrivait pas à atterrir ». Elle essayait de le faire « atterrir ». Je ne crois pas que cela ait marché, mais c’est un mariage qui a duré plus de quarante ans, « brisé » uniquement par « l’absence » d’André…

Les derniers temps, André a commencé quelques fois à appeler Ruth « Maman ».    

Chez mes voisins du deuxième étage, il y a des enfants. L’été, les fenêtres sont ouvertes. Dès le matin, j’entends crier « Ima ! » (« Maman ! »). Dans la rue, j’entends souvent aussi crier « Ima ! » (« Maman ! »), quand je passe devant des femmes et des enfants. Je suis entouré du mot « Ima » (« Maman »). Depuis deux ans, mon projet en hébreu s’appelle « Ima » (« Maman »). On peut entendre ce mot des centaines de fois par jour. Qua cela soit en marchant dans la rue, ou même ici, dans mon appartement, j’ouvre la fenêtre, j’entends deux garçons crier ce mot.

Je me suis rendu compte que ce mot circule tout le temps et dans tous les espaces, il vibre. Quand je vivais en France, je n’avais pas eu cette impression. Peut – être n’étais – je pas assez présent, pas assez à l’écoute de ce qui se passait dans la rue ?

A la dernière soirée de la semaine des « chiva » (sept jours de deuil), après que plusieurs personnes aient parlé de leurs relations avec André, j’ai entendu la voix de l’un des enfants me demandant : « Roger, veux – tu parler ? ». Je n’ai pas répondu, comme si je n’avais pas bien entendu. En réalité, j’étais surpris. Puis, un autre enfant m’a demandé la même chose. J’ai eu la force de me lever, et de dire : « je préfère garder le silence, maintenant ». Le lendemain, j’ai eu peur que cela soit mal interprété par Ruth. Je lui ai écrit un mail, disant que depuis qu’André a commencé son grand voyage, je préfère me concentrer sur sa musique, et sur l’écriture de mes souvenirs. L’écriture est aussi un morceau de silence, tout comme la lecture.

J’avais dit à Ruth que j’irais sur la tombe le lendemain matin, comme le veut la coutume. Je n’ai pas pu y aller.

Anatoly, qui connaissait André, m’a téléphoné, et je lui ai annoncé le départ d’André. Anatoly Basin revenait de Russie, où il voyage tous les trois mois. Il voulait me voir, parce qu’il voulait que j’écrive la relation qu’André avait eue avec notre groupe, fondé par Hedi et Anatoly, appelé « Jerusalmix ».

Il y a quelques années, nous avions peint en groupe dans le studio d’un centre culturel à « Musrara », quartier situé près des murailles de la Vieille Ville. André venait souvent nous visiter.

L’idée généreuse d’Anatoly fut de me dire la chose suivante : « Nous avons cherché à comprendre ce que veut dire « voir les voix », je voudrais dire qu’André était celui qui a écouté, il venait pour voir nos travaux, mais je sentais qu’il écoutait plus qu’il ne voyait notre peinture ». A « Musrara », nous étions les « voyants », et André, dans ses visites, « l’écoutant ».

« Voir les voix », je pense à cette phrase depuis longtemps, et souvent. Anatoly est aussi préoccupé par elle, mais dans une connotation mystique, qui correspond à la civilisation russe. Il faut beaucoup de patience pour le comprendre, son hébreu étant difficile à interpréter. Je ne parle pas russe. Je reste donc assis à l’écouter, essayant de comprendre ce qu’il dit.

Anatoly Basin était très admiré aussi par Hedi Tarjan, qui le considérait comme un grand peintre. Nous avons travaillé ensemble de longues années, et j’ai aussi beaucoup appris avec lui.

André venait à toutes les expositions organisées à « Musrara » ou dans d’autres endroits où nous exposions nos œuvres.

Que voyait André dans nos peintures ? Que voit quelqu’un qui ne veut pas voir, trop préoccupé de rester dans son monde, le monde de l’écoute ?     

J’ai compris avec étonnement que la parole peut gêner. Comme je demandais à Dadou, qui était devenu un peu sourd. Pourquoi il ne mettait pas ses appareils ? Il me répondait : « parfois, je préfère ne pas comprendre, ne pas entendre ». André était aussi devenu sourd, mais n’aimait pas non plus porter les appareils auditifs. Mais quand il jouait de la musique, il n’avait aucune surdité.

La « surdité » d’André était une manière de se protéger de la blessure des mots,  une grande sensibilité par rapport aux discours des gens, une forme de protection face à ce langage ambigu.

J’avais fini par lui dire : « André, si tu ne mets pas tes appareils, il est difficile pour moi de m’asseoir avec toi et de crier, je n’aime pas crier ». Il mettait alors ses appareils, il en avait pris le réflexe, et donc on pouvait communiquer. Mon étonnement venait quand je voyais que par rapport à la musique, il entendait sans gêne. Lui demandant plus d’explications sur ce phénomène, il m’a répondu qu’il entendait la musique, mais que son oreille « transposait ».

Couché sur son lit d’hôpital, de la première chambre dans les urgences jusqu’à l’étage où on l’avait mis, les appareils de contrôle faisaient du bruit, ces bruits mécaniques et numériques. Il souffrait et nous faisait des gestes pour que l’on fasse cesser ces bruits infernaux. Pour un compositeur comme lui, que les montées de la musique dans sa tête empêchaient de dormir, les appareils devaient être un enfer.

Il y a des formes étranges de surdité. Comme celle de mon ami parisien Pierre M. Quand son père est mort, il est devenu sourd. Sa surdité n’était pas tellement une usure physiologique, mais un choc émotif.





Monday, December 12, 2016

souvenirs de ma relation avec André 31-08-16 partie 2

André m’avait fait entrer à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes. J’y ai étudié, voulant y obtenir un diplôme d’ethnomusicologue. Au début, je voulais faire un diplôme ’ sur les différents styles et manières de jouer de la guitare, en particulier dans le monde gitan – espagnol. J’ai commencé à travailler sur ce sujet. Grâce aux conférences que l’on écoutait dans cette école, j’ai commencé à m’intéresser davantage à la musique persane, au Setar en particulier, que je considérais comme un « ancêtre » de la guitare. J’étais très sensible au contenu et à l’esprit de cette musique. André l’a aussi, et l’origine de toutes mes années avec les musiques orientales. Ce sont les conférences du professeur Tran Van Khé, musicien vietnamien, et grand érudit des musiques du Moyen – Orient et de l’Extrême – Orient. Il avait commencé dans son pays à étudier la musique occidentale, et avait travaillé le chant.

J’ai étudié plusieurs années avec lui dans son école de musique, située dans l’université de Jussieu.

Les conférences de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes se tenaient à Neuilly. J’ai pratiqué longtemps une très longue ligne de Métropolitain, la ligne sept. J’habitais chez mes parents à l’époque au Kremlin – Bicêtre, presque au terminus de la ligne sept. On assistait, en matinée, pendant deux ou trois heures, à une conférence donnée chaque fois par un spécialiste de musique ethnique, Afrique, Inde, Japon, Chine, etc… Le Professeur Tran Van Khe était très actif. Ses conférences portaient sur les musiques d’Asie : musique vietnamienne, chinoise, et japonaise. Bien avant de le connaître, j’avais eu une grande admiration pour la civilisation japonaise.

J’ai commencé à m’ouvrir sur d’autres musiques orientales grâce au Professeur Tran Van Khe. Jusqu’à sa mort, j’ai gardé des contacts avec lui.

J’avais étudié dans l’Ecole des Musiques Orientales qu’il avait fondée, à Censier. Les cours avaient lieu en fin de semaine. J’avais choisi d’étudier avec un professeur chinois un instrument appelé « Pipa », qui a une technique de mains que je ne connaissais pas et qui m’intéressait par la multiplicité des mouvements, les allers – retours des doigts, et la manière d’utiliser entièrement la main. Cela ajoutait de nouveaux mouvements aux techniques de la guitare. Je connaissais la technique de mains de la guitare. J’étais intéressé par cette technique, mais la personnalité du professeur et ma sensibilité envers la musique chinoise, que je ne ressentais pas bien à l’époque, m’a obligé à changer de direction. Avec le Professeur Tran Van Khe, j’ai étudié un instrument appelé « Dan Tran », une cithare sur table, que l’on joue avec le pouce et l’index de la main droite, tout en appuyant légèrement sur les cordes avec la main gauche.

 A l’heure actuelle, je suis plus sensible à cette intelligence et sensibilité extrêmement belle des orientaux et de leur comportement avec leurs instruments. Leurs instruments sont faits pour la douceur et l’intimité. Il n’y a pas de violence dans leur jeu, ni dans leur musique.

Je ne discernais pas ce qu’était la violence. Je n’avais pas appris par mes professeurs occidentaux à discerner cette approche instrumentale.

A l’heure actuelle, je me suis aperçu que mon jeu à la guitare était violent et précipité. Je change actuellement mes habitudes en essayant de jouer avec douceur et lenteur. Je ne cherchais pas la violence pour la violence. Mais les effets et la rapidité de cerveau ont entraîné une rapidité d’exécution, liées aussi à l’accélération du rythme de vie et s’est imposée de plus en plus. Cela m’a été néfaste car, quand on veut devenir un artiste, ou un musicien, il faut résister à l’accélération et revenir à des tempos lents.

Malgré ma grande admiration pour le Professeur Tran Van Khe, ma sensibilité et ma culture occidentale m’empêchaient de sentir la profondeur de cet enseignement, qui différait complètement des valeurs que j’apprenais à la « Schola Cantorum ». Ce que je percevais alors dans leur musique ne satisfaisait pas mon besoin de recherche spirituelle.

Par hasard, ayant vu, dans cette école, des affiches de concerts de musique orientale. La musique orientale n’était pas connue à Paris en mil neuf cent soixante-neuf. Cette affiche signalait un concert donné par des musiciens iraniens. Ce concert était organisé dans une maison privée, où la table avait été transformée en scène, sur laquelle se trouvaient trois musiciens, un instrument à cordes, le « Tar », un instrument à archet, le « Kamantché », et un instrument à percussion, joué par un certain Djamchid Chemirani. Cet instrument m’a ébloui. Djamchid est devenu mon professeur de percussion iranienne, le « Zarb ». Jusqu’à présent, il reste un ami que je visite à chacun de mes séjours en France. J’ai découvert dans la musique iranienne une musique non seulement très intense, très profonde, très intérieure, mais aussi une façon de jouer élégante, sans violence. Après ce concert, j’avais été tellement impressionné que j’ai demandé à rencontrer Djamchid. Je lui ai communiqué mon enthousiasme pour son instrument et demandé s’il voulait me l’enseigner. Il m’a répondu : « je vous donne mon numéro de téléphone, téléphonez – moi ». Dans cette première rencontre, dans un café, près de l’endroit où il habitait alors, il a accepté de me prendre comme élève, m’a demandé d’aller en Iran pour acheter l’instrument. Ce que j’ai fait, dans l’été mil neuf cent soixante-neuf, après avoir acheté une moto d’occasion, « Java », et convaincu un élève, Serge. Nous avons fait le trajet, partant de Paris, en passant par la Suisse, l’Italie, la Côte Méditerranéenne, jusqu’en Turquie, et monté sur le Plateau Iranien. Arrivé à Téhéran, j’ai cherché à le contacter. Il était déjà sur les lieux du festival de Persépolis. Ayant eu son père au téléphone, celui – ci nous a invités à habiter dans sa villa à Chémiran.

Nous y avons passé deux jours, avant de prendre la route, et de traverser les deux déserts qui séparent Téhéran de Persépolis. Mon voyage a étonné les personnes que j’ai rencontrées. Le Ministre de la Culture nous avait donné la possibilité d’habiter à l’Université où se trouvaient tous les musiciens qui participaient à ce festival, particulièrement consacré à la percussion.

De retour à Paris, j’ai étudié avec lui. Dans les pauses qu’il faisait entre chaque cours qu’il donnait, nous allions au café, et ainsi, peu à peu, nous sommes devenus amis. J’étais souvent invité chez lui, j’y dormais quelques fois, et ces soirs – là, je jouais de la guitare pour endormir les enfants.

Sa rencontre, et les autres relations, proches, viennent d’André. Mes études et mon amitié pour Djamchid Chémirani est aussi l’une des dettes que j’ai envers André.

Le « puzzle » de ma dette vers André n’est pas achevé. Ce côté absolument généreux d’André, et ses intuitions, comme celle de m’avoir emmené étudier à l’Ecole des Hautes Etudes Pratiques, m’a bouleversé.

Il m’avait également emmené, avec Dadou, étudier les Textes Sacrés, chez le Rav Wenstein, rue des Martyrs. Ce savant talmudique avait été conseillé à André par Burt Krancer, avec qui il partageait sa chambre dans cette Maison d’Etudiants Juifs rue Guy Patin. Burt est également devenu mon ami. Il arrivait de New – York pour étudier à l’Ecole de Cinéma. Burt observait le Chabbath et étudiait la « Guémara » (Talmud). Il commençait également à faire des films. Il a invité André à faire la musique d’un film qu’il était en train de réaliser, qui se tournait en Grèce et était édité à Rome. J’ai été les visiter en auto – stop. J’y ai habité quelques jours avec eux. André me racontait que, quand le Chabbath arrivait, Burt ne voulait plus filmer, ce qui était devenu une chose difficile pour les producteurs de ce film. Pour une production de cinéma, perdre un jour, c’est perdre de l’argent.

André, ébloui par l’attitude de Burt, avait découvert « l’espace » du Chabbath, en l’étude, avec Burt, des textes.

Ma relation avec Burt Krancer a aussi été intense.

Paul Mefano, un colocataire d’André, était étudiant au Conservatoire National de Paris, en classe de composition. Grâce à lui, j’ai pu entrer étudier au Conservatoire le cor d’harmonie avec le professeur Paul Devemy. J’ai vécu ainsi une année dans ce Conservatoire qui n’avait pas encore de classe de guitare. André a toujours gardé le contacts avec Burt Krancer et Paul Mefano.

Peu à peu, Burt Krancer n’a plus voulu faire de films et avait choisi entièrement l’étude et la vie religieuse. Il travaillait dans toutes sortes de domaines pour subvenir aux besoins de sa famille. Il vit à Brooklyn, et je l’ai rencontré quand il vient visiter ses enfants en Israël.

André n’a jamais voulu choisir une voie exclusive. Il essayait de réaliser toutes ses possibilités. Ne pas nier son chemin de compositeur, tout en étant pratiquant. Rester intègre, tout en respectant le désir de se réaliser comme compositeur, et de réaliser sa vie d’une manière éthique.


souvenirs de ma relation avec André 31-08-16 partie 1

Aujourd’hui, on est le mercredi trente et un août deux mil seize.

Avec Jonathan, nous avons enregistré des pensées à propos de la soirée organisée par la famille Hajdu pour les trente jours du décès d’André.

J’avais essayé de relater cette soirée, surtout le malaise que j’ai éprouvé et que j’éprouve toujours à me trouver en société.

Depuis l’enfance, j’ai beaucoup de problèmes à assister à des communions, des mariages, des manifestations, ou même à être avec plusieurs personnes dans une soirée. J’ai toujours eu ce malaise que je n’arrive pas à comprendre. Ce malaise m’est revenu pendant les sept jours de deuil.

Lundi soir, la famille avait organisé des études à la synagogue, suivies d’une réception dans leur jardin et sur le chemin qui arrive à l’entrée de leur maison. Les gens étaient à la fois assis dans le jardin, et dehors, dans le chemin public. Nous étions à la fois dehors et dedans. Ruth était assise sur le chemin avec d’autres personnes. J’avais trouvé une place un peu éloignée.

Ce ne sont pas ces lieux qui m’ont donné un malaise. Ce sont les gens, l’effet de groupe…

Yaïr, le fils aîné, a parlé pour expliquer qu’il voulait chanter les chants de Chabbath qu’André avait composés et ensuite écrits. André disposait donc d’une petite « chorale familiale » de six voix. Je ne sais pas si Ruth chantait aussi. Chaque enfant avait sa partie.

Ils ont chanté quelques chants de ce répertoire.

Ensuite, Yaïr a demandé à quelques personnes qui avaient étudié avec lui et qui connaissaient André depuis très longtemps, de parler, de raconter leurs relations.

C’est à ce moment – là qu’une grande tristesse s’est abattue sur moi. Cette tristesse a augmenté mon malaise, et, mes anciennes habitudes ont repris le dessus. J’avais une grande envie de fuir, mais je n’osais pas. J’attendais le moment, car je ne voulais pas fuir sans dire « au revoir » à la famille Hajdu.

La partie des chants était très belle. Yoni, Yonathan Niv, et Ethan Kirsch, ont chanté aussi des compositions composées pour le groupe qui avait été formé quand j’ai organisé des concerts dans mon studio « Haoman Haï ».

L’histoire de ce groupe a commencé dans mon studio, rue Haoman, numéro dix-huit. J’avais trouvé le nom. André l’a repris pour appeler son groupe. André avait oublié que ce nom venait de moi et nous avions eu un petit différend. Je savais qu’André avait l’habitude d’oublier l’origine de certaines choses, ayant une tendance à ramener les choses à lui. Il m’avait dit que je n’avais pas le droit de me servir de ce nom, car il était devenu public, grâce à son groupe. J’ai demandé des explications pour savoir comment cela se passait du point de vue de la juridiction, non pas civile, mais éthique. J’avais questionné aussi Daniel Epstein, et Jean – Jacques Guggenheim à ce sujet. Le différend s’est finalement bien terminé, quand Yoni avait expliqué à André que cela n’avait pas d’importance, que cela ne gênait ni l’un, ni l’autre, que je me serve aussi de ce nom. J’avais décidé dans mon désir d’extériorisation de publier ce nom, le nom que j’avais donné à mon studio, pour faire connaître l’endroit où je travaille.

Souvent, j’ai été blessé par cette sorte d’oubli. 


Je me suis décidé à partir vers dix heures. J’ai dit « au revoir » à Ruth, et déjà sur le chemin vers l’autobus, Ruth m’a demandé avec quel moyen de locomotion je rentrerais chez moi. Je lui ai répondu que je rentrais en autobus, comme d’habitude. Elle a fait un signe à Ezra, son deuxième enfant. Il s’est levé et m’a raccompagné en voiture. On a eu une petite discussion pendant le chemin. Il m’a demandé ce que je faisais, s’il pouvait visiter le studio. Quand je lui ai dit que je préparais un disque avec le livre « Microcosmos pour Guitare » d’André, il s’y est intéressé.

J’ai l’impression, peut – être fausse, qu’au lieu d’écrire mes souvenirs avec André, je laisse transparaître un plus de moi – même. Cette façon de faire me laisse et me fait croire que cela facilite ma spontanéité, évite la cristallisation de mes souvenirs, mais permet un flux et une aisance pour laisser remonter peu à peu les mémoires. Avec l’écriture de ce blog, j’aimerais construire, mettre en parallèle la rencontre de deux personnes venant d’horizons différents, et raconter  l’influence de l’une sur l’autre. Ecrire aussi la dette que j’ai envers André.

Comment retracer tout ce qui vient de lui, les amis qu’il m’a fait connaître, Dadou Nahmias, parti il y a quelques années. Loulou, le cousin de Dadou. Sidi Lamine Diarra, venant du Mali, ayant terminé sa vie à Paris, après une grave maladie du cerveau. Sidi est devenu un ami important. Il apportait un autre point de vue. Le point de vue africain, étant né au Mali. J’aimerais écrire sur lui. Il m’avait beaucoup appris, et fait découvrir beaucoup de grands auteurs, en particulier Maurice Blanchot.

André m’avait fait aussi découvrir les grands textes. L’un de ses premiers cadeaux fut un recueil, « les Pensées » de Pascal, qui se trouve malgré tous mes déménagements, parmi mes livres.

Dadou, qu’André avait connu à Tunis, quand il avait quitté Paris pour être professeur au Conservatoire de Musique, était considéré comme un juif existentiel. A Tunis, André avait découvert le côté existentiel des juifs sépharades. Dadou est devenu pour moi aussi un grand personnage et ami. J’admirait sa mémoire exceptionnelle, et sa façon de chanter les chansons de Brassens, dont il savait par cœur tout le répertoire.  

En deux mil seize, André m’avait dit une chose étonnante : qu’il avait eu la chance de rencontrer dans sa vie deux hommes, un « Tzadik » (Juste) et un génie. Il m’a dit que le « Tzadik » (Juste) était Dadou, et le génie, Miki.

Miki Erdely était un ami d’André de longue date. André l’avait connu quand il était aux scouts, où il avait rencontré aussi Hedi. De cette époque datent ses plus anciens amis hongrois, avec qui il était toujours resté en contact, comme Gronki à Londres, faisant partie aussi de ce groupe de scouts, que Miki dirigeait. Miki était plus âgé qu’André.

Après quelques temps de mon amitié avec André, j’ai voulu connaître la Hongrie, et rencontrer ses amis, dont il me parlait souvent. J’ai fait un premier voyage et j’ai habité chez Miki. Miki habitait à Buda, le côté vers la montagne, Pest étant le côté de la plaine. J’ai passé trois mois pleins. Miki parlait un peu de français, et avec ce peu, savait se faire comprendre. On a entretenu ensuite beaucoup de correspondances. Il se forçait à écrire en français. Son fils Daniel insiste encore pour que je vienne habiter en Hongrie.

Mon dernier voyage remonte à quelques années avant la mort d’Hedi. J’avais fait le voyage avec André pour assister à l’exposition des tableaux d’Hedi dans une galerie de Budapest. Nous avions fait un voyage commun, avec Ruth, dans le même avion, la même pension de famille, pour un peu plus d’une semaine. Cela faisait plus de trente ans que je n’étais pas retourné en Hongrie.

Le « fil » de mes amitiés.

André était devenu un « absolu ». Les autres personnes que je connaissais à l’époque commençaient à m’ennuyer, et je m’en désintéressais peu à peu. André m’a inclus dans son cercle d’amis hongrois, des réfugiés de mil neuf cent cinquante-six. Nous nous rencontrions dans le café « Old Navy », boulevard Saint – Germain – des Prés. Pendant longtemps dans ma vie, je me suis retrouvé avec des gens que j’aimais, mais dont je ne comprenais pas la langue. Cela ne me gênait pas car, ne cherchant pas le sens des mots, je restais à écouter, la langue devenait une musique, mon intuition me faisant comprendre plus ou moins ce qu’ils disaient. Il y eut aussi un autre café où nous passions des soirées, mais je ne me rappelle plus le nom de ce café.

J’ai un peu appris le hongrois, comme j’ai appris l’hébreu, c’est-à-dire, par l’écoute, et non pas par la lecture. Je suis un être d’écoute, tout en étant un grand lecteur. Je ne pense pas maintenant si j’ai vraiment lu, ou si j’ai navigué sur les lettres, si j’ai vraiment compris le contenu de ce que je lisais. A l’heure actuelle, je critique ma façon de lire, ma précipitation. Je lis trop vite, comme je fais beaucoup de choses trop vite. Je me force à lire lentement.

Dadou m’a introduit dans sa famille. J’ai connu ses sœurs, et suis devenu ami avec la plus jeune, Lina. J’étais souvent invité à partager leurs repas et leur couscous au poisson du vendredi soir. J’aimais beaucoup Mamina, la mère de Dadou, que je trouvais être une femme extraordinaire.

J’étais très lié à Lina. On parlait beaucoup. J’allais souvent la visiter rue du Pont aux Choux, dans le Marais, dans son tout petit appartement, au sixième étage du numéro vingt-deux. Elle m’a aidé à trouver un petit studio au numéro sept de cette même rue. Quand elle est partie, emportée par la maladie de la « vache folle », j’habitais en Israël, et j’ai voyagé pour lui dire « au revoir ».