Wednesday, December 14, 2016
souvenirs de ma relation avec André 31-08-2016 partie 3
Ruth m’avait raconté leur rencontre.
Après un an environ, étant venue plusieurs fois en Israël pour rencontrer
André, il faisait alors sa période militaire, et souffrait beaucoup de cet
état. Il dit à Ruth : « Nous allons nous marier, car je suis un homme
qui est dans les airs, et je sens que j’ai besoin d’un parachute pour
atterrir ». Ruth était le « parachute ». Ruth avait un
comportement merveilleux avec André, sur tous les niveaux, et les difficultés
venant du comportement d’André. Il était « dans les airs », et il
« n’arrivait pas à atterrir ». Elle essayait de le faire
« atterrir ». Je ne crois pas que cela ait marché, mais c’est un
mariage qui a duré plus de quarante ans, « brisé » uniquement par
« l’absence » d’André…
Les derniers temps, André a commencé
quelques fois à appeler Ruth « Maman ».
Chez mes voisins du deuxième étage,
il y a des enfants. L’été, les fenêtres sont ouvertes. Dès le matin, j’entends
crier « Ima ! » (« Maman ! »). Dans la rue,
j’entends souvent aussi crier « Ima ! »
(« Maman ! »), quand je passe devant des femmes et des enfants.
Je suis entouré du mot « Ima » (« Maman »). Depuis deux
ans, mon projet en hébreu s’appelle « Ima » (« Maman »). On
peut entendre ce mot des centaines de fois par jour. Qua cela soit en marchant
dans la rue, ou même ici, dans mon appartement, j’ouvre la fenêtre, j’entends
deux garçons crier ce mot.
Je me suis rendu compte que ce mot
circule tout le temps et dans tous les espaces, il vibre. Quand je vivais en
France, je n’avais pas eu cette impression. Peut – être n’étais – je pas assez
présent, pas assez à l’écoute de ce qui se passait dans la rue ?
A la dernière soirée de la semaine
des « chiva » (sept jours de deuil), après que plusieurs personnes
aient parlé de leurs relations avec André, j’ai entendu la voix de l’un des
enfants me demandant : « Roger, veux – tu parler ? ». Je
n’ai pas répondu, comme si je n’avais pas bien entendu. En réalité, j’étais
surpris. Puis, un autre enfant m’a demandé la même chose. J’ai eu la force
de me lever, et de dire : « je préfère garder le silence,
maintenant ». Le lendemain, j’ai eu peur que cela soit mal interprété par
Ruth. Je lui ai écrit un mail, disant que depuis qu’André a commencé son grand
voyage, je préfère me concentrer sur sa musique, et sur l’écriture de mes
souvenirs. L’écriture est aussi un morceau de silence, tout comme la lecture.
J’avais dit à Ruth que j’irais sur
la tombe le lendemain matin, comme le veut la coutume. Je n’ai pas pu y aller.
Anatoly, qui connaissait André, m’a
téléphoné, et je lui ai annoncé le départ d’André. Anatoly Basin revenait de
Russie, où il voyage tous les trois mois. Il voulait me voir, parce qu’il voulait
que j’écrive la relation qu’André avait eue avec notre groupe, fondé par Hedi
et Anatoly, appelé « Jerusalmix ».
Il y a quelques années, nous avions
peint en groupe dans le studio d’un centre culturel à « Musrara »,
quartier situé près des murailles de la Vieille Ville. André venait souvent nous
visiter.
L’idée généreuse d’Anatoly fut de me
dire la chose suivante : « Nous avons cherché à comprendre ce que
veut dire « voir les voix », je voudrais dire qu’André était celui
qui a écouté, il venait pour voir nos travaux, mais je sentais qu’il écoutait
plus qu’il ne voyait notre peinture ». A « Musrara », nous étions
les « voyants », et André, dans ses visites, « l’écoutant ».
« Voir les voix », je
pense à cette phrase depuis longtemps, et souvent. Anatoly est aussi préoccupé
par elle, mais dans une connotation mystique, qui correspond à la civilisation
russe. Il faut beaucoup de patience pour le comprendre, son hébreu étant
difficile à interpréter. Je ne parle pas russe. Je reste donc assis à
l’écouter, essayant de comprendre ce qu’il dit.
Anatoly Basin était très admiré
aussi par Hedi Tarjan, qui le considérait comme un grand peintre. Nous avons
travaillé ensemble de longues années, et j’ai aussi beaucoup appris avec lui.
André venait à toutes les
expositions organisées à « Musrara » ou dans d’autres endroits où
nous exposions nos œuvres.
Que voyait André dans nos peintures ?
Que voit quelqu’un qui ne veut pas voir, trop préoccupé de rester dans son
monde, le monde de l’écoute ?
J’ai compris avec étonnement que la
parole peut gêner. Comme je demandais à Dadou, qui était devenu un peu sourd. Pourquoi
il ne mettait pas ses appareils ? Il me répondait : « parfois,
je préfère ne pas comprendre, ne pas entendre ». André était aussi devenu
sourd, mais n’aimait pas non plus porter les appareils auditifs. Mais quand il jouait
de la musique, il n’avait aucune surdité.
La « surdité » d’André
était une manière de se protéger de la blessure des mots, une grande sensibilité par rapport aux
discours des gens, une forme de protection face à ce langage ambigu.
J’avais fini par lui dire :
« André, si tu ne mets pas tes appareils, il est difficile pour moi de
m’asseoir avec toi et de crier, je n’aime pas crier ». Il mettait alors
ses appareils, il en avait pris le réflexe, et donc on pouvait communiquer. Mon
étonnement venait quand je voyais que par rapport à la musique, il entendait
sans gêne. Lui demandant plus d’explications sur ce phénomène, il m’a répondu
qu’il entendait la musique, mais que son oreille « transposait ».
Couché sur son lit d’hôpital, de la
première chambre dans les urgences jusqu’à l’étage où on l’avait mis, les
appareils de contrôle faisaient du bruit, ces bruits mécaniques et numériques. Il
souffrait et nous faisait des gestes pour que l’on fasse cesser ces bruits
infernaux. Pour un compositeur comme lui, que les montées de la musique dans sa
tête empêchaient de dormir, les appareils devaient être un enfer.
Il y a des formes étranges de
surdité. Comme celle de mon ami parisien Pierre M. Quand son père est mort, il
est devenu sourd. Sa surdité n’était pas tellement une usure physiologique,
mais un choc émotif.
Monday, December 12, 2016
souvenirs de ma relation avec André 31-08-16 partie 2
André m’avait fait entrer à l’Ecole Pratique
des Hautes Etudes. J’y ai étudié, voulant y obtenir un diplôme
d’ethnomusicologue. Au début, je voulais faire un diplôme ’ sur les différents
styles et manières de jouer de la guitare, en particulier dans le monde gitan –
espagnol. J’ai commencé à travailler sur ce sujet. Grâce aux conférences que
l’on écoutait dans cette école, j’ai commencé à m’intéresser davantage à la
musique persane, au Setar en particulier, que je considérais comme un « ancêtre »
de la guitare. J’étais très sensible au contenu et à l’esprit de cette musique.
André l’a aussi, et l’origine de toutes mes années avec les musiques
orientales. Ce sont les conférences du professeur Tran Van Khé, musicien
vietnamien, et grand érudit des musiques du Moyen – Orient et de l’Extrême –
Orient. Il avait commencé dans son pays à étudier la musique occidentale, et
avait travaillé le chant.
J’ai étudié plusieurs années avec
lui dans son école de musique, située dans l’université de Jussieu.
Les conférences de l’Ecole Pratique des
Hautes Etudes se tenaient à Neuilly. J’ai pratiqué longtemps une très longue
ligne de Métropolitain, la ligne sept. J’habitais chez mes parents à l’époque
au Kremlin – Bicêtre, presque au terminus de la ligne sept. On assistait, en
matinée, pendant deux ou trois heures, à une conférence donnée chaque fois par
un spécialiste de musique ethnique, Afrique, Inde, Japon, Chine, etc… Le
Professeur Tran Van Khe était très actif. Ses conférences portaient sur les
musiques d’Asie : musique vietnamienne, chinoise, et japonaise. Bien avant
de le connaître, j’avais eu une grande admiration pour la civilisation
japonaise.
J’ai commencé à m’ouvrir sur
d’autres musiques orientales grâce au Professeur Tran Van Khe. Jusqu’à sa mort,
j’ai gardé des contacts avec lui.
J’avais étudié dans l’Ecole des
Musiques Orientales qu’il avait fondée, à Censier. Les cours avaient lieu en
fin de semaine. J’avais choisi d’étudier avec un professeur chinois un
instrument appelé « Pipa », qui a une technique de mains que je ne
connaissais pas et qui m’intéressait par la multiplicité des mouvements, les
allers – retours des doigts, et la manière d’utiliser entièrement la main. Cela
ajoutait de nouveaux mouvements aux techniques de la guitare. Je connaissais la
technique de mains de la guitare. J’étais intéressé par cette technique, mais la
personnalité du professeur et ma sensibilité envers la musique chinoise, que je
ne ressentais pas bien à l’époque, m’a obligé à changer de direction. Avec le
Professeur Tran Van Khe, j’ai étudié un instrument appelé « Dan
Tran », une cithare sur table, que l’on joue avec le pouce et l’index de
la main droite, tout en appuyant légèrement sur les cordes avec la main gauche.
A l’heure actuelle, je suis plus sensible à
cette intelligence et sensibilité extrêmement belle des orientaux et de leur
comportement avec leurs instruments. Leurs instruments sont faits pour la
douceur et l’intimité. Il n’y a pas de violence dans leur jeu, ni dans leur
musique.
Je ne discernais pas ce qu’était la
violence. Je n’avais pas appris par mes professeurs occidentaux à discerner
cette approche instrumentale.
A l’heure actuelle, je me suis
aperçu que mon jeu à la guitare était violent et précipité. Je change
actuellement mes habitudes en essayant de jouer avec douceur et lenteur. Je ne
cherchais pas la violence pour la violence. Mais les effets et la rapidité de
cerveau ont entraîné une rapidité d’exécution, liées aussi à l’accélération du
rythme de vie et s’est imposée de plus en plus. Cela m’a été néfaste car, quand
on veut devenir un artiste, ou un musicien, il faut résister à l’accélération
et revenir à des tempos lents.
Malgré ma grande admiration pour le
Professeur Tran Van Khe, ma sensibilité et ma culture occidentale m’empêchaient de
sentir la profondeur de cet enseignement, qui différait complètement des
valeurs que j’apprenais à la « Schola Cantorum ». Ce que je percevais
alors dans leur musique ne satisfaisait pas mon besoin de recherche
spirituelle.
Par hasard, ayant vu, dans cette
école, des affiches de concerts de musique orientale. La musique orientale
n’était pas connue à Paris en mil neuf cent soixante-neuf. Cette affiche
signalait un concert donné par des musiciens iraniens. Ce concert était
organisé dans une maison privée, où la table avait été transformée en scène,
sur laquelle se trouvaient trois musiciens, un instrument à cordes, le « Tar »,
un instrument à archet, le « Kamantché », et un instrument à
percussion, joué par un certain Djamchid Chemirani. Cet instrument m’a ébloui. Djamchid
est devenu mon professeur de percussion iranienne, le « Zarb ». Jusqu’à
présent, il reste un ami que je visite à chacun de mes séjours en France. J’ai
découvert dans la musique iranienne une musique non seulement très intense,
très profonde, très intérieure, mais aussi une façon de jouer élégante, sans
violence. Après ce concert, j’avais été tellement impressionné que j’ai demandé
à rencontrer Djamchid. Je lui ai communiqué mon enthousiasme pour son
instrument et demandé s’il voulait me l’enseigner. Il m’a répondu :
« je vous donne mon numéro de téléphone, téléphonez – moi ». Dans
cette première rencontre, dans un café, près de l’endroit où il habitait alors,
il a accepté de me prendre comme élève, m’a demandé d’aller en Iran pour
acheter l’instrument. Ce que j’ai fait, dans l’été mil neuf cent soixante-neuf,
après avoir acheté une moto d’occasion, « Java », et convaincu un
élève, Serge. Nous avons fait le trajet, partant de Paris, en passant par la
Suisse, l’Italie, la Côte Méditerranéenne, jusqu’en Turquie, et monté sur le
Plateau Iranien. Arrivé à Téhéran, j’ai cherché à le contacter. Il était déjà
sur les lieux du festival de Persépolis. Ayant eu son père au téléphone, celui –
ci nous a invités à habiter dans sa villa à Chémiran.
Nous y avons passé deux jours, avant
de prendre la route, et de traverser les deux déserts qui séparent Téhéran de
Persépolis. Mon voyage a étonné les personnes que j’ai rencontrées. Le Ministre
de la Culture nous avait donné la possibilité d’habiter à l’Université où se
trouvaient tous les musiciens qui participaient à ce festival, particulièrement
consacré à la percussion.
De retour à Paris, j’ai étudié avec
lui. Dans les pauses qu’il faisait entre chaque cours qu’il donnait, nous
allions au café, et ainsi, peu à peu, nous sommes devenus amis. J’étais souvent
invité chez lui, j’y dormais quelques fois, et ces soirs – là, je jouais de la
guitare pour endormir les enfants.
Sa rencontre, et les autres
relations, proches, viennent d’André. Mes études et mon amitié pour Djamchid
Chémirani est aussi l’une des dettes que j’ai envers André.
Le « puzzle » de ma dette
vers André n’est pas achevé. Ce côté absolument généreux d’André, et ses
intuitions, comme celle de m’avoir emmené étudier à l’Ecole des Hautes Etudes
Pratiques, m’a bouleversé.
Il m’avait également emmené, avec
Dadou, étudier les Textes Sacrés, chez le Rav Wenstein, rue des Martyrs. Ce savant
talmudique avait été conseillé à André par Burt Krancer, avec qui il partageait
sa chambre dans cette Maison d’Etudiants Juifs rue Guy Patin. Burt est
également devenu mon ami. Il arrivait de New – York pour étudier à l’Ecole de
Cinéma. Burt observait le Chabbath et étudiait la « Guémara »
(Talmud). Il commençait également à faire des films. Il a invité André à faire
la musique d’un film qu’il était en train de réaliser, qui se tournait en Grèce
et était édité à Rome. J’ai été les visiter en auto – stop. J’y ai habité
quelques jours avec eux. André me racontait que, quand le Chabbath arrivait,
Burt ne voulait plus filmer, ce qui était devenu une chose difficile pour les
producteurs de ce film. Pour une production de cinéma, perdre un jour, c’est perdre
de l’argent.
André, ébloui par l’attitude de
Burt, avait découvert « l’espace » du Chabbath, en l’étude, avec
Burt, des textes.
Ma relation avec Burt Krancer a
aussi été intense.
Paul Mefano, un colocataire d’André,
était étudiant au Conservatoire National de Paris, en classe de composition. Grâce
à lui, j’ai pu entrer étudier au Conservatoire le cor d’harmonie avec le
professeur Paul Devemy. J’ai vécu ainsi une année dans ce Conservatoire qui n’avait
pas encore de classe de guitare. André a toujours gardé le contacts avec Burt
Krancer et Paul Mefano.
Peu à peu, Burt Krancer n’a plus voulu
faire de films et avait choisi entièrement l’étude et la vie religieuse. Il
travaillait dans toutes sortes de domaines pour subvenir aux besoins de sa
famille. Il vit à Brooklyn, et je l’ai rencontré quand il vient visiter ses
enfants en Israël.
André n’a jamais voulu choisir une
voie exclusive. Il essayait de réaliser toutes ses possibilités. Ne pas nier
son chemin de compositeur, tout en étant pratiquant. Rester intègre, tout en
respectant le désir de se réaliser comme compositeur, et de réaliser sa vie d’une
manière éthique.
souvenirs de ma relation avec André 31-08-16 partie 1
Aujourd’hui, on est le mercredi
trente et un août deux mil seize.
Avec Jonathan, nous avons enregistré
des pensées à propos de la soirée organisée par la famille Hajdu pour les
trente jours du décès d’André.
J’avais essayé de relater cette
soirée, surtout le malaise que j’ai éprouvé et que j’éprouve toujours à me
trouver en société.
Depuis l’enfance, j’ai beaucoup de
problèmes à assister à des communions, des mariages, des manifestations, ou
même à être avec plusieurs personnes dans une soirée. J’ai toujours eu ce
malaise que je n’arrive pas à comprendre. Ce malaise m’est revenu pendant les
sept jours de deuil.
Lundi soir, la famille avait organisé
des études à la synagogue, suivies d’une réception dans leur jardin et sur le chemin
qui arrive à l’entrée de leur maison. Les gens étaient à la fois assis dans le
jardin, et dehors, dans le chemin public. Nous étions à la fois dehors et
dedans. Ruth était assise sur le chemin avec d’autres personnes. J’avais trouvé
une place un peu éloignée.
Ce ne sont pas ces lieux qui m’ont
donné un malaise. Ce sont les gens, l’effet de groupe…
Yaïr, le fils aîné, a parlé pour
expliquer qu’il voulait chanter les chants de Chabbath qu’André avait composés
et ensuite écrits. André disposait donc d’une petite « chorale
familiale » de six voix. Je ne sais pas si Ruth chantait aussi. Chaque
enfant avait sa partie.
Ils ont chanté quelques chants de ce
répertoire.
Ensuite, Yaïr a demandé à quelques
personnes qui avaient étudié avec lui et qui connaissaient André depuis très
longtemps, de parler, de raconter leurs relations.
C’est à ce moment – là qu’une grande
tristesse s’est abattue sur moi. Cette tristesse a augmenté mon malaise, et, mes
anciennes habitudes ont repris le dessus. J’avais une grande envie de fuir, mais
je n’osais pas. J’attendais le moment, car je ne voulais pas fuir sans dire
« au revoir » à la famille Hajdu.
La partie des chants était très
belle. Yoni, Yonathan Niv, et Ethan Kirsch, ont chanté aussi des compositions
composées pour le groupe qui avait été formé quand j’ai organisé des concerts
dans mon studio « Haoman Haï ».
L’histoire de ce groupe a commencé
dans mon studio, rue Haoman, numéro dix-huit. J’avais trouvé le nom. André l’a
repris pour appeler son groupe. André avait oublié que ce nom venait de moi et nous
avions eu un petit différend. Je savais qu’André avait l’habitude d’oublier
l’origine de certaines choses, ayant une tendance à ramener les choses à lui. Il
m’avait dit que je n’avais pas le droit de me servir de ce nom, car il
était devenu public, grâce à son groupe. J’ai demandé des explications pour
savoir comment cela se passait du point de vue de la juridiction, non pas
civile, mais éthique. J’avais questionné aussi Daniel Epstein, et Jean –
Jacques Guggenheim à ce sujet. Le différend s’est finalement bien terminé,
quand Yoni avait expliqué à André que cela n’avait pas d’importance, que cela
ne gênait ni l’un, ni l’autre, que je me serve aussi de ce nom. J’avais décidé
dans mon désir d’extériorisation de publier ce nom, le nom que j’avais donné à mon
studio, pour faire connaître l’endroit où je travaille.
Souvent, j’ai été blessé par cette
sorte d’oubli.
Je me suis décidé à partir vers dix
heures. J’ai dit « au revoir » à Ruth, et déjà sur le chemin vers
l’autobus, Ruth m’a demandé avec quel moyen de locomotion je rentrerais
chez moi. Je lui ai répondu que je rentrais en autobus, comme d’habitude. Elle
a fait un signe à Ezra, son deuxième enfant. Il s’est levé et m’a raccompagné
en voiture. On a eu une petite discussion pendant le chemin. Il m’a demandé ce
que je faisais, s’il pouvait visiter le studio. Quand je lui ai dit que je
préparais un disque avec le livre « Microcosmos pour Guitare » d’André,
il s’y est intéressé.
J’ai l’impression, peut – être
fausse, qu’au lieu d’écrire mes souvenirs avec André, je laisse transparaître un
plus de moi – même. Cette façon de faire me laisse et me fait croire que cela
facilite ma spontanéité, évite la cristallisation de mes souvenirs, mais permet
un flux et une aisance pour laisser remonter peu à peu les mémoires. Avec l’écriture
de ce blog, j’aimerais construire, mettre en parallèle la rencontre de deux
personnes venant d’horizons différents, et raconter l’influence de l’une sur l’autre. Ecrire aussi
la dette que j’ai envers André.
Comment retracer tout ce qui vient
de lui, les amis qu’il m’a fait connaître, Dadou Nahmias, parti il y a quelques
années. Loulou, le cousin de Dadou. Sidi Lamine Diarra, venant du Mali, ayant
terminé sa vie à Paris, après une grave maladie du cerveau. Sidi est devenu un
ami important. Il apportait un autre point de vue. Le point de vue africain,
étant né au Mali. J’aimerais écrire sur lui. Il m’avait beaucoup appris, et
fait découvrir beaucoup de grands auteurs, en particulier Maurice Blanchot.
André m’avait fait aussi découvrir
les grands textes. L’un de ses premiers cadeaux fut un recueil, « les
Pensées » de Pascal, qui se trouve malgré tous mes déménagements, parmi mes
livres.
Dadou, qu’André avait connu à Tunis,
quand il avait quitté Paris pour être professeur au Conservatoire de Musique,
était considéré comme un juif existentiel. A Tunis, André avait découvert le
côté existentiel des juifs sépharades. Dadou est devenu pour moi aussi un grand
personnage et ami. J’admirait sa mémoire exceptionnelle, et sa façon de chanter
les chansons de Brassens, dont il savait par cœur tout le répertoire.
En deux mil seize, André m’avait dit
une chose étonnante : qu’il avait eu la chance de rencontrer dans sa vie
deux hommes, un « Tzadik » (Juste) et un génie. Il m’a dit que le
« Tzadik » (Juste) était Dadou, et le génie, Miki.
Miki Erdely était un ami d’André de
longue date. André l’avait connu quand il était aux scouts, où il avait
rencontré aussi Hedi. De cette époque datent ses plus anciens amis hongrois,
avec qui il était toujours resté en contact, comme Gronki à Londres, faisant
partie aussi de ce groupe de scouts, que Miki dirigeait. Miki était plus âgé
qu’André.
Après quelques temps de mon amitié
avec André, j’ai voulu connaître la Hongrie, et rencontrer ses amis, dont il me
parlait souvent. J’ai fait un premier voyage et j’ai habité chez Miki. Miki
habitait à Buda, le côté vers la montagne, Pest étant le côté de la plaine.
J’ai passé trois mois pleins. Miki parlait un peu de français, et avec ce peu,
savait se faire comprendre. On a entretenu ensuite beaucoup de correspondances.
Il se forçait à écrire en français. Son fils Daniel insiste encore pour que je
vienne habiter en Hongrie.
Mon dernier voyage remonte à
quelques années avant la mort d’Hedi. J’avais fait le voyage avec André pour assister
à l’exposition des tableaux d’Hedi dans une galerie de Budapest. Nous avions fait
un voyage commun, avec Ruth, dans le même avion, la même pension de famille,
pour un peu plus d’une semaine. Cela faisait plus de trente ans que je n’étais
pas retourné en Hongrie.
Le « fil » de mes amitiés.
André était devenu un
« absolu ». Les autres personnes que je connaissais à l’époque
commençaient à m’ennuyer, et je m’en désintéressais peu à peu. André m’a inclus
dans son cercle d’amis hongrois, des réfugiés de mil neuf cent
cinquante-six. Nous nous rencontrions dans le café « Old Navy »,
boulevard Saint – Germain – des Prés. Pendant longtemps dans ma vie, je me suis
retrouvé avec des gens que j’aimais, mais dont je ne comprenais pas la langue. Cela
ne me gênait pas car, ne cherchant pas le sens des mots, je restais à écouter,
la langue devenait une musique, mon intuition me faisant comprendre plus ou
moins ce qu’ils disaient. Il y eut aussi un autre café où nous passions des
soirées, mais je ne me rappelle plus le nom de ce café.
J’ai un peu appris le hongrois,
comme j’ai appris l’hébreu, c’est-à-dire, par l’écoute, et non pas par la
lecture. Je suis un être d’écoute, tout en étant un grand lecteur. Je ne pense
pas maintenant si j’ai vraiment lu, ou si j’ai navigué sur les lettres, si j’ai
vraiment compris le contenu de ce que je lisais. A l’heure actuelle, je
critique ma façon de lire, ma précipitation. Je lis trop vite, comme je fais
beaucoup de choses trop vite. Je me force à lire lentement.
Dadou m’a introduit dans sa famille.
J’ai connu ses sœurs, et suis devenu ami avec la plus jeune, Lina. J’étais
souvent invité à partager leurs repas et leur couscous au poisson du vendredi
soir. J’aimais beaucoup Mamina, la mère de Dadou, que je trouvais être une
femme extraordinaire.
J’étais très lié à Lina. On parlait
beaucoup. J’allais souvent la visiter rue du Pont aux Choux, dans le Marais,
dans son tout petit appartement, au sixième étage du numéro vingt-deux. Elle
m’a aidé à trouver un petit studio au numéro sept de cette même rue. Quand elle
est partie, emportée par la maladie de la « vache folle », j’habitais
en Israël, et j’ai voyagé pour lui dire « au revoir ».